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François Hollande et Jean-Pierre Jouyet, amis inséparables de l’ENA

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« J’ai présenté ma démission au président de la République qui l’a acceptée et je vais être remplacé par Jean-Pierre Jouyet », a déclaré Pierre-René Lemas, dans un communiqué annonçant officiellement cette succession. Contacté par Le Monde, François Hollande a justifié ce choix, mercredi 9 avril : « L’idée est de faire un changement qui s’inscrit dans le changement. Dès lors qu’une nouvelle équipe s’installait à Matignon, je souhaitais qu’il y ait une nouvelle équipe à l’Elysée », a expliqué le chef de l’Etat. Il faut, a-t-il insisté, « une cohérence absolue, une équipe quasiment fusionnelle, une véritable unité de commandement ». Mais qui est donc ce Jean-Pierre Jouyet, ami de longue date du Président ?

JOL Press : Quel était l’état des relations entre François Hollande et Jean-Pierre Jouyet quand ils étaient à l’ENA ?

Martin Leprince : François Hollande et Jean-Pierre Jouyet étaient très proches. Tous deux étaient à Sciences Po. mais ils n’étaient pas encore amis. Ils se sont rapprochés pendant leur service militaire. Les garçons qui réussissaient le concours de l’ENA devaient, en effet, partir pour leur service militaire avant de suivre leur formation. La rentrée est décalée d’un an. François Hollande et Jean-Pierre Jouyet ont fait leur service à Coëtquidan, en Bretagne, avec d’autres futurs camarades de l’ENA dont Michel Sapin. Et c’est ensemble qu’ils créent, une fois à l’ENA, le syndicat Carena : François Hollande en est le « chef » et Jean-Pierre Jouyet le « sous-chef ». Ce Comité d’action pour une réforme démocratique de l’ENA remportera les élections de la seconde année. La bande du Carena où on retrouve  Michel Sapin, formait une petite bande de copains qui partageaient plus que les cours.

A l’époque, sur le plan politique, aussi bien François Hollande que Jean-Pierre Jouyet étaient beaucoup plus à gauche qu’aujourd’hui. Jouyet était le fils d’un notaire normand gaulliste et Hollande d’un sympathisant de Jean-Louis Tixier-Vignancour (extrême-droite) mais eux se déclaraient proches du Parti communiste. Lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique en 1979, au sein de la bande du Carena, il y a eu des discussions houleuses : Jean-Maurice Ripert et Bernard Cottin étaient violemment contre cette invasion et François Hollande que Jean-Pierre Jouyet soutenaient fermement l’armée soviétique.

JOL Press : Quels étaient leurs engagements à l’époque ?

Martin Leprince : A l’époque, leur grand combat, c’était la réforme de l’ENA. L’idée principale du Carena était de mettre fin à l’accès direct aux grands corps qui donnait l’impression que l’ENA était l’école des élites. Pour bien comprendre, à la fin de la formation, il y a un classement et en fonction de ce classement les étudiants sortants choisissent les emplois supérieurs de l’État dans lesquels ils souhaitent aller. Le nombre de places est limité dans les grands corps (le Conseil d’État, la Cour des comptes et l’Inspection générale des finances) et très souvent les premiers choisissent les grands corps, ce qui les garantit, par ailleurs d’une rente à vie.

Cependant certains membres du Carena qui avaient, pendant toute leur scolarité, critiqué ce système ont été dans la possibilité de choisir les grands corps, dont François Hollande et Jean-Pierre Jouyet. Ces derniers ne se sont pas gênés : Hollande a choisi la Cour des comptes et Jouyet l’Inspection générale des finances.

JOL Press : Après l’ENA, sont-ils restés amis ?

Martin Leprince : Ils étaient inséparables à l’ENA. En quittant l’école, ils sont restés très bons amis. Le seul moment où leur amitié a été mise à mal c’est lorsque Jean-Pierre Jouyet a fait son entrée dans un gouvernement de droite, en 2007, en devenant secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, sous Nicolas Sarkozy. Sa mission était alors de préparer et d’assurer le bon déroulement des négociations de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, au deuxième semestre 2008. Pendant cette période François Hollande et Jean-Pierre Jouyet ne se sont plus vu. La rupture a été assez dure : François Hollande pensait que cette nomination était un piège fomenté par la droite contre lui. Mais quand il a quitté le gouvernement fin 2008 pour prendre la tête de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Jean-Pierre Jouyet a rappelé son vieil ami et leur amitié a été restaurée.

Si Jouyet a toujours eu une grande admiration pour François Hollande, ils n’ont jamais été dans un rapport de dominé/dominant. Hollande était plus charismatique et Jouyet plus en retrait, tous deux ont toujours été très ambitieux. Mais entre ces deux hommes, la relation va au-delà de l’amitié politique. A la sortie de l’ENA, avec d’autres camarades de promotions, ils avaient pris l’habitude de passer les réveillons du Nouvel An ensemble : ils sont ainsi allés en Belgique, au Maroc, à Londres ou encore à Los Angeles.  Et ont passés des week-ends et des vacances ensemble.

Quand François Hollande s’est porté candidat à la présidentielle, à l’époque où Dominique Strauss-Kahn était encore dans la course et où personne ne croyait en lui, Jean-Pierre Jouyet était l’un des rares à le soutenir, même s’il ne croyait pas spécialement à la victoire.

JOL Press : Pour quelle raison François Hollande n’a-t-il pas fait signe à Jean-Pierre Jouyet dès 2012 ?

Martin Leprince : En septembre 2011, un peu avant la victoire de François Hollande, un journaliste avait demandé à Jean-Pierre Jouyet s’il accepterait le poste de Secrétaire général de l’Elysée en cas de victoire de François Hollande à la présidentielle et il avait répondu : « Ça ne se refuse pas ». Tous les fabiusiens et les lieutenants de Martine Aubry s’étaient alors retournés violement vers François Hollande, l’accusant de préparer le retour au pouvoir d’un ancien ministre de Nicolas Sarkozy. François Hollande avait donc été obligé d’écarter publiquement cette option. En acceptant de devenir secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, sous Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Jouyet a été considéré comme un traître par le Parti socialiste. 2012 était peut-être un peu trop tôt pour une nomination.

Dans le livre, je raconte cependant une anecdote qui prend aujourd’hui toute sa saveur : juste après les législatives de 1981, où Michel Sapin avait été élu, et où François Hollande avait été envoyé en Corrèze face à Jacques Chirac, certains anciens du Carena se sont retrouvés pour un déjeuner dans une brasserie vers la place de Clichy et au cours de la conversation Jean-Pierre Jouyet aurait lancé en rigolant : « Un jour François sera élu président de la République et j’irai avec lui à l’Elysée… »

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Martin Leprince est journaliste et auteur d’ouvrages sur la politique française, dont Rose Mafia 2, l’enquête (Jacob Duvernet, juin 2012).

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