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Génocide au Rwanda: «Il y a pu avoir des formes non officielles d’appui français»

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JOL Press : Que faisait la France au Rwanda à cette époque ?
 

André Guichaoua : La France s’est engagée explicitement au cours du mois d’octobre 1990 lors de la première attaque du FPR [Front patriotique rwandais, rébellion tutsie], après le retrait des troupes zaïroises et belges. D’octobre 1990 à août 1993, c’est-à-dire jusqu’à la signature des accords de paix d’Arusha, la présence de l’armée française a été constante. Elle est éventuellement intervenue en appui aux forces rwandaises lors d’offensives du FPR.

Les Français se sont ensuite retirés parce qu’il était prévu que les forces des Nations unies – la MINUAR – se substitueraient et assureraient la mission et la mise en œuvre des accords d’Arusha. Cela a duré jusqu’au déclenchement de la guerre puis du génocide après le 6 avril. Au-delà, une période de conflits a prévalu au cours de laquelle les Nations unies étaient normalement les garants du suivi ou de l’observation mais non de l’intervention. C’est à partir de cette période-là qu’il y a eu débat sur d’éventuelles formes d’appui français au gouvernement intérimaire rwandais, y compris sur le plan militaire et notamment au-delà, lorsque l’embargo sur les armes a été voté par les Nations unies.

JOL Press : Quels liens entretenait alors la France avec les troupes rwandaises en guerre contre le FPR ?
 

André Guichaoua : À cette époque-là, il n’y avait normalement pas de liens puisque la France n’était pas engagée dans le conflit et parce qu’il y a eu l’embargo de l’ONU. Formellement, la France n’était pas présente pendant cette période. Mais il y a pu avoir des formes non officielles d’interventions ou d’appuis de la part de la France, mais ceux-ci doivent être documentés et précisés. Cela a pu aller de la fourniture de munitions à l’intervention de groupes français sous mandat privé. Cela fait partie des éléments de débat sur lesquels, à l’heure actuelle, il n’y a pas de consensus quant à leur existence, leur nature et leur fonction.

JOL Press : Quelle a été la réaction de la France suite à l’attentat du président Habyarimana le 6 avril 1994 ?
 

André Guichaoua : Il y a une procédure qui est en cours actuellement au niveau français. Le fait que ce soit la France qui ait été obligée de prendre ce dossier en charge – en l’absence de réponse du Tribunal pénal international pour le Rwanda, qui avait normalement cet élément du conflit dans son dossier – est certainement une grave erreur.

Pourquoi avoir laissé en jachère un tel dossier, alors que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité faisaient partie du mandat de cette institution, qui était indépendante ? J’ajouterai que l’argument selon lequel il n’est pas prouvé que ce soit un acte de guerre, c’est-à-dire qu’il ait un lien avec les offensives qui ont suivi, ne me semble pas recevable dans la mesure où il relevait du TPIR de faire en sorte que cet argument soit éventuellement évacué. Constatons simplement que le TPIR n’a pas souhaité le faire et qu’il y a eu une opposition extrêmement ferme de la part des autorités rwandaises à toute investigation susceptible d’analyser les stratégies des deux protagonistes.

D’autre part, les éléments qui ont été recueillis, notamment du temps du mandat de Louise Arbour [Haut-commissaire aux droits de l’Homme entre 2004 et 2008] ont fait l’objet d’un veto américain. La France est finalement restée seule avec son dossier alors qu’elle est certainement le pays le plus mal placé pour avoir à assumer cette charge en matière de justice.

JOL Press : Vingt ans après les faits, le premier Rwandais jugé en France pour sa complicité dans le génocide a été condamné à 25 ans de prison. Pourquoi les procès des génocidaires n’ont-ils lieu que maintenant ?
 

André Guichaoua : Les raisons sont relativement simples. La position française dans le conflit ne lui permettait certainement pas d’engager des procédures à l’époque. C’est aussi vraisemblablement parce qu’au cours des premières années après le génocide, la France avait soutenu un certain nombre de personnalités de l’ancien régime qui étaient susceptibles d’être poursuivies explicitement, soit par le TPIR soit par les autorités rwandaises, ce qui ne s’est pas fait. La rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda a également ralenti les choses.

Depuis que les relations ont été rétablies, notamment après la visite de Nicolas Sarkozy en février 2010, il a fallu quelques années pour que soit mis en place un cadre efficace, doté d’un budget, qui permette d’organiser ces procès. La longueur des procédures en France n’est toutefois pas propre au dossier rwandais, bien qu’en ce qui concerne cette procédure, les délais sont encore plus longs du fait des déplacements des enquêteurs et des problèmes logistiques. Un premier procès a été mis en audience récemment. Ce n’est effectivement pas un hasard s’il a eu lieu en 2014, peu de temps avant les commémorations des 20 ans du génocide.

Il faut aussi préciser qu’aucun pays n’a été en mesure d’assumer plus d’une douzaine ou quinzaine de cas – la Belgique venant en tête – pour des raisons de budget, de personnel, et de plus en plus pour des raisons de raréfaction du vivier des témoins crédibles. Les procédures sont parties pour durer encore une dizaine d’années. Le plus important aujourd’hui consiste à répéter qu’il est impensable que l’impunité prévale pour des crimes imprescriptibles, qu’il s’agisse de crimes de génocide, de crimes de guerre, ou de crimes contre l’humanité.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press 

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André Guichaoua est sociologue, professeur à l’Université Paris 1. Il est l’auteur de Rwanda, de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda (1990-1994), et témoin-expert du bureau du procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).

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