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Hongrie: «Le parti d’extrême droite se donne une image parlementaire»

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JOL Press : Les résultats des élections législatives en Hongrie témoignent-ils de l’implantation de l’extrême droite radicale sur la scène politique hongroise ?
 

Catherine Horel : Je ne sais pas si on peut déjà parler d’enracinement véritable de l’extrême droite, puisque nous ne sommes qu’à deux législatures,  mais on peut constater qu’un certain nombre de personnalités du parti Jobbik ont été réélues, notamment celles implantées au Nord-Est du pays. Au niveau local, il n’y a donc pas de déception ou de désaffection de l’électorat sur le parti de l’extrême droite : si leurs actions ou le discours avaient été jugés scandaleux par les électeurs de ces circonscriptions, on peut supposer qu’ils ne les auraient pas réélus, mais ce n’est pas le cas… 

JOL Press : Peut-on imputer la percée de l’extrême droite à un échec de la gauche ?
 

Catherine Horel : Complètement. Il y a en Hongrie une incapacité des socialistes à proposer une alternative en termes de programme –  ils n’ont absolument rien à dire et c’est absolument dramatique – et à présenter une alternative en termes d’homme. Le jeune candidat Attila Mesterházy a été lancé dans la bataille comme s’il était « un nouveau Viktor Orbán ». Avec cet homme jeune, dynamique, et bon orateur,  la gauche a essayé de lancer un « mini Orbán », quelqu’un qui rappelle aux électeurs un Viktor Orbán  d’il y a quinze ans. Mais cela n’a pas fonctionné…Sans préjuger des capacités ou de la sympathie que l’on peut avoir envers Attila Mesterházy, il n’avait derrière lui ni programme, ni véritable groupe de parlementaires de qualité pour gagner le suffrage des électeurs. 

JOL Press : Assiste-t-on à une dédiabolisation de l’image du parti Jobbik ?
 

Catherine Horel : Les personnalités qui étaient déjà élues se sont effectivement efforcées de montrer qu’ils n’étaient pas des extrémistes, qu’ils savaient gérer leur municipalité ou leur circonscription parlementaire, et se sont nettement différencier des groupes violents qui avaient pu, lors de la première élection en 2008, faire peur à beaucoup d’électeurs qui voyaient déjà des groupes paramilitaires arrivés dans les municipalités.

JOL Press: Pensez-vous que les électeurs attirés par l’image « normalisée » du Jobbik puissent ignorer le caractère néo-nazi du parti ?
 

Catherine Horel : Non personne ne peut l’ignorer, notamment dans les petites provinces du Nord-Est du pays, où l’on a vu passer des groupes de motards avec des slogans extrémistes, avec la carte de la Hongrie royale imprimée sur des tee-shirts. On ne peut pas occulter le fait que, derrière le Jobbik, il y a eu au début des gens qui sont des extrémistes tout à fait dangereux. Cela fait penser à la stratégie de normalisation du Front national en France, il n’empêche qu’il y a tout de même des crânes rasés qui font leur apparition…C’est un peu pareil en Hongrie : le parti Jobbik essaie de se donner une image parlementaire, qui nécessite qu’ils « fassent le ménage » et qu’ils ne tolèrent plus les motards à crânes rasés pendant les meetings.  

JOL Press: Dans le cadre des commémorations du 70e anniversaire des déportations nazie des juifs hongrois, Viktor Orbán insiste sur la nécessité de la mémoire de l’Holocauste en Hongrie. Accusé d’être proche de l’extrême droite antisémite, est-ce un moyen pour lui de redorer son image ?
 

Catherine Horel :  Viktor Orbán est un pragmatique. Dès qu’il sent qu’il est allé trop loin, ou que le vent tourne, il ne se gêne pas pour changer de discours. C’est un personnage à géométrie variable à ce niveau-là. Il va puiser dans ce qui l’arrange dans ce cycle de commémorations. Il va très certainement essayer de montrer à quel point la Hongrie peut essayer de donner des leçons en matière de devoir de mémoire, ce qui n’est pas du tout le cas bien entendu, et il va peut-être tenter de s’approprier les commémorations pour se redonner une image de personne tout à fait fréquentable. L’ennui dans ce discours et cette démarche de commémoration de la Shoah, c’est que la Hongrie va montrer à quel point elle se considère victime au même titre que sa population juive, et c’est évidemment scandaleux. Il va falloir analyser la teneur du discours officiel sur les commémorations mais aussi ce que vont en comprendre les citoyens. 

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Catherine Horel est historienne,  directrice de recherche au CNRS et spécialiste de l’Europe centrale.

 

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