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«Il faut évaluer correctement les effets des pesticides sur les abeilles»

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JOL Press : Quelles sont les causes de la mortalité des abeilles ?
 

Gérard Arnold : Il y a deux catégories principales de facteurs qui peuvent expliquer les mortalités des abeilles: les agents biologiques – c’est à dire des virus, des bactéries, des acariens parasites – et les pesticides. Il existe également d’autres facteurs, dont le rôle apparaît, globalement, moins important. C’est pourquoi on mentionne une origine multifactorielle des troubles des abeilles. Ce qui est vrai au niveau mondial – il existe plusieurs facteurs possibles – n’est pas obligatoirement vrai au niveau d’une colonie ou d’un rucher, où il ne peut y avoir qu’un seul facteur impliqué : par exemple un acarien parasite, le Varroa (Varroa destructor) qui fait beaucoup de dégâts au sein des colonies, ou bien un pesticide. Il peut y avoir aussi des interactions entre ces deux facteurs. Il y a parfois un abus de l’utilisation du terme plurifactoriel qui peut être une manière d’atténuer la responsabilité de certains d’entre eux.

JOL Press : L’étude « Epilobee » révèle un taux élevé de mortalité des abeilles domestiques dans les pays du nord : le climat serait donc lié au déclin des abeilles ?
 

Gérard Arnold : Il faut être prudent avec les résultats d’une étude qui n’a été réalisée que sur trois trimestres. Des évènements climatiques exceptionnels – dans le cas présent une vague de froid – peuvent en effet être une cause possible de mortalité des colonies, bien que les abeilles soient capables de survivre à des hivers rigoureux. Dans le cas de cette étude on ignore si des preuves ont été recueillies qui monteraient que les abeilles étaient bien mortes de froid. Pour obtenir une confirmation de cette hypothèse, il faudrait voir si, lors d’un hiver doux, le taux de mortalité des abeilles reste élevé. En France par exemple, la mortalité a été de 14% en hiver, et de 14% au printemps et en été : on ne peut donc pas imputer les importantes mortalités au cours de la saison apicole – printemps et été – directement au froid hivernal.

JOL Press : Que reprochez-vous à l’étude Epilobee ?
 

Gérard Arnold : L’étude présente un biais méthodologique : la Commission européenne a demandé aux auteurs de l’étude de n’analyser  que les agents biologiques sans prendre en compte les pesticides. C’est une vue très partielle des choses. Autre point faible: on ne parle que de « mortalité d’abeilles » dans l’étude. Alors qu’un des problèmes principaux dans les troubles  des abeilles, c’est l’affaiblissement des colonies d’abeilles, c’est à dire une diminution anormale du nombre d’individus dans les colonies, où il ne reste plus que la reine et des ouvrières, et où la colonie ne  récolte plus beaucoup de miel.

JOL Press : Le changement climatique peut-il avoir un impact sur la disparition des abeilles ?
 

Gérard Arnold : A l’heure actuelle, non. Il faut bien faire la différence entre l’abeille mellifère (l’abeille domestique), celle qui est élevée par les apiculteurs, et les centaines d’autres espèces d’abeilles en France (des milliers dans le monde), qui sont sauvages, la plupart solitaires. L’abeille domestique s’est répandue sur la Terre entière, quasiment du cercle polaire jusqu’à l’Equateur, et dans l’hémisphère sud également. C’est une abeille qui sait se protéger de la chaleur et du froid.  Elle est capable de réguler la température interne de la ruche. Mais lorsqu’il y a des désordres climatiques importants, qu’il y a un printemps très pluvieux ou une grande sécheresse qui affectent les fleurs, par exemple, cela aura un impact sur les abeilles puisqu’elles se nourrissent uniquement de fleurs. Il pourrait donc y avoir un effet indirect du dérèglement climatique. C’est aussi un argument à la mode…Certains en abusent d’ailleurs parfois, pour éviter de se pencher sur les autres facteurs de mortalité des abeilles.

JOL Press : Est-il trop alarmiste d’affirmer que les abeilles pourraient devenir une espèce menacée ?
 

Gérard Arnold : On ne peut affirmer cela pour les abeilles domestiques. Il est en revanche indéniable qu’elles sont mal en point. Si l’apiculture n’est plus rentable, il y aura une diminution du nombre des apiculteurs et donc du nombre de colonies d’abeilles, et cela aura des effets négatifs sur la pollinisation des cultures et des plantes sauvages. Par contre, il en va autrement pour certaines espèces d’abeilles solitaires qui sont spécialistes de certaines plantes. Certaines espèces sont menacées et peu de gens s’en occupent: il y a donc  des risques de disparition de ces espèces. 

JOL Press: Les abeilles ont un rôle fondamental pour la pollinisation des  cultures : quelles sont les conséquences de leur disparition ?
 

Gérard Arnold : Les abeilles rendent énormément de services dans la pollinisation des cultures et  des fleurs sauvages. Au niveau économique, ces services sont infiniment supérieurs en valeurs à ce que représente le commerce du miel. Les conséquences, d’un déficit de pollinisation  sont essentiellement des baisses de rendement des cultures ou de qualité de leurs produits. En Chine par exemple, où le nombre d’abeilles a considérablement diminué dans certaines régions, les gens sont obligés de polliniser à la main. Les Etats-Unis font quant eux face à un problème  de productions des amandiers car il n’y a parfois plus assez de colonies d’abeilles pour les polliniser.

JOL Press : Au niveau européen, quelles sont les méthodes mises en oeuvre  pour protéger les abeilles ?
 

Gérard Arnold : Les mesures vont parfois dans le bon sens, parfois moins…La Commission européenne a récemment suspendu l’usage de trois insecticides néonicotinoïdes. Malheureusement, il s’agit généralement de décisions partielles. Les pesticides vont être interdits sur certaines cultures et non sur l’ensemble: on en retrouvera donc dans l’environnement. Le principal effort qui doit être fait au niveau européen concerne les tests de toxicité des pesticides réalisés au moment de leur homologation. Il est maintenant prouvé que les tests actuels sont insuffisants et inadaptés aux molécules actuellement sur le marché. Par ailleurs aucune étude n’est faite sur la toxicité des mélanges de pesticides, or les abeilles sont exposées à des cocktails de molécules dont on ne connaît pas la toxicité. Il est urgent et fondamental de se donner maintenant les moyens pour trouver l’ensemble des causes de la mortalité des abeilles et d’y remédier.

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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Gérard Arnold est Directeur de recherche CNRS, spécialiste de la biologie de l’abeille domestique Laboratoire Evolution, génomes et spéciation à Gif-sur-Yvette et Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC) à Paris.

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