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Inde: Narendra Modi, nationaliste hindou favori des sondages

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JOL Press : Narendra Modi, considéré comme « pro-business », est le candidat favori des milieux financiers et économiques. Quel impact aurait sur la croissance indienne l’élection de Modi ?
 

Jean-Joseph Boillot : Narendra Modi est effectivement clairement le plus apprécié des candidats dans les milieux patronaux. Dans les milieux financiers, en revanche, c’est deja plus incertain. Récemment, la banque JP Morgan s’est ainsi montrée hésitante sur l’impact de l’élection de Narendra Modi, en particulier sur le sujet très sensible des grands dossiers d’infrastructures.

Car, à l’heure actuelle, plus de 80% des dossiers sont bloqués au niveau des responsables régionaux, des 28 Etats de l’Inde. Or, là dessus, Modi ne pourra pas grand chose puisque les pouvoirs fédéraux sont assez limités.

Néanmoins, dans l’hypothèse d’une élection confortable de Narendra Modi, avec une nette majorité pour le parti du BJP, son arrivée au pouvoir devrait se traduire par une periode de grâce de trois à six mois pendant laquelle les milieux économiques vont donner toute sa chance au nouveau Premier ministre pour relancer la machine économique.

Ils le jugeront à l’aune de deux grands types de décisions : l’accélération de la mise en oeuvre des grands projets d’infrastructures, notamment ceux qui dépendent du budget fédéral ; et ensuite, les mesures de réforme de l’administration indienne qui est au coeur des difficultés de l’économie indienne.

Reste que, selon les dernières nouvelles, une victoire éclatante de Narendra Modi est loin d’etre certaine puisque le BJP et ses candidats sont crédités de 30 à 35% des voix et de 220 à 230 députés – il en faut 272 pour avoir la majorité absolue au Parlement. Narendra Modi devra donc composer avec ses alliés et notamment régionaux.

Cela introduit plus d’incertitude sur l’avenir et l’Inde pourrait alors rester encore un bon moment sous la surveillance des marchés. Pour l’instant, la bonne santé de la bourse mais aussi des marchés obligataires montrent qu’ils ont plutôt confiance dans le pays quelque soient les résultats.

JOL Press : Narendra Modi n’hésite pas à mettre en avant ses origines humbles pour jouer à fond la carte de la classe sociale. De la même manière, il aime à évoquer son appartenance à une basse caste. Est-ce son profil d’« homme du peuple » qui séduit les électeurs, davantage que ses ambitions économiques pour l’Inde ? Dans quelles couches sociales trouve-t-on l’essentiel de ses soutiens ?
 

Jean-Joseph Boillot : On a eu affaire pendant toute cette campagne à un as de la communication. Modi n’est pas le fils d’un marchand de thé comme on le lit parfois ! J’ai été voir le village où il est né, et je peux vous dire que sa maison n’etait pas une hutte comme pour les basses castes de l’époque. Il est certes d’extraction modeste, mais de la petite bourgeoisie des petites villes. Il a par contre joué de cette image de l’homme qui ne serait pas né dans l’establishment.

C’est un profil travaillé qui vise à l’opposer à l’autre principal candidat de ces élections : Rahul Gandhi, du parti du Congrès. C’est la bataille entre l’héritier d’une dynastie et Modi, effectivement homme du peuple. Son électorat n’est pas nécessairement populaire ; il s’agit davantage de classes moyennes urbaines là encore. Modi a par contre mis en scène un profil proche des gens par opposition à Rahul Gandhi.

Est-ce que c’est cela qui séduit les électeurs, davantage que ses ambitions économiques pour l’Inde ? Je dirais que c’est surtout le fait que les classes moyennes urbaines, comme les petits commerçants – le cœur de son electorat -, subissent de plein fouet le retournement économique entamé en Inde en 2010-2011.

Ce n’est pas pour rien que Modi a refusé l’ouverture aux investissements étrangers du commerce de détail. Modi est populaire auprès du grand patronat, mais ce qui va l’amener éventuellement à gagner, ce sont les voix des classes moyennes.

JOL Press : S’il était élu, Narendra Modi pourrait-il gouverner à sa guise ? Le fait de devoir former une coalition ne l’empêcherait-il pas de mettre en route les réformes qu’il promet ?
 

Jean-Joseph Boillot : Il est fort probable que Modi ne puise obtenir de majorité absolue. Il va donc devoir dépendre d’une majorité composée d’autres partis nationaux et, surtout, de partis régionaux. De ce point de vue là, il aura effectivement quelques difficultés à faire passer en force un train de réformes radicales.

C’est ce qui fait dire à certains observateurs que le modèle du Gujarat, où il a eu, à mesure qu’il était réélu, une majorité de plus en plus confortable, n’est pas transposable à l’Inde toute entiere.

Mais il faut noter que Modi est suffisamment intelligent pour savoir qu’il ne faut surtout jamais s’engager sur des mesures précises ; ainsi, dans le manifeste du BJP publié lundi 7 avril, il y a finalement très peu de propositions précises et donc de grandes marges de manoeuvre. 

JOL Press : La popularité de Narendra Modi traduit-elle une religiosité croissante de la société et de la vie politique indiennes ? Peut-on parler comme le font certains de « démocratie ethnique », d’une « hindouisation de l’Etat »?
 

Jean-Joseph Boillot : Modi est une bête politique difficile à saisir. Il est beaucoup plus mystique que religieux. « L’Inde aux Hindous » défendu par le BJP ne veut pas dire seulement les croyants et les pratiquants ; c’est d’abord un cri nationaliste.

JOL Press : Très nationaliste, Modi, au pouvoir, changerait-il certaines orientations de la diplomatie indienne – notamment vis-à-vis de la Chine et du Pakistan ?
 

Jean-Joseph Boillot : C’est effectivement un sujet qui débattu en ce moment par les experts. Il est probable que Modi ait un ton plus dur vis-à-vis du Pakistan et des « petits » voisins de l’inde – le Sri Lanka, le Bangladesh… C’est en outre dans la nature du personnage d’être très autoritaire, très ferme.

Vis-à-vis de la Chine, Modi a une position paradoxale : il demande de faire preuve de la plus grande fermeté par rapport aux incursions chinoises mais il est fasciné par l’efficacité de la Chine communiste et il est davantage vu par les Chinois comme un ami que comme un ennemi. Il est en outre beaucoup moins fermement engagé sur le Tibet que le Parti du Congrès, pour des raisons historiques.

Enfin, son attitude très dure et anti-musulmane sur le Cachemire coïncide bien avec la façon dont Pékin perçoit les dangers aujourd’hui à ses frontières occidentales (Ouïgours, Afghanistan, etc).

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

 

Jean-Joseph Boillot est professeur agrégé de sciences sociales, conseiller auprès du club du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), cofondateur de l’Euro-India Economic & Business Group (EIEBG), et auteur d’une dizaine d’ouvrages, notamment L’Inde pour les nuls (First, avril 2014).

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