Site icon La Revue Internationale

Japon: «Les yakuza ont toujours pignon sur rue»

[image:1,l]

JOL Press : Les effectifs de la mafia japonaise seraient au plus bas. Qu’en est-il ?
 

Christophe Sabouret : Aujourd’hui, une loi oblige les yakuza à se déclarer, pas en tant que mafieux mais sous des formes légales (associations, entreprises etc.). Les chiffres de leurs effectifs sont donc régulièrement mis à jour : ils ont toujours pignon sur rue et seraient environ 60 000. Le clan Yamaguchi, qui vient de lancer son site internet, rassemblerait 25 000 personnes. C’est le plus gros syndicat du crime au Japon.

Les yakuza ont connu un véritable âge d’or dans les années 1960, on en dénombrait alors 180 000. A l’époque, ils étaient plus nombreux que les Forces japonaises d’autodéfense, qui constituent de fait l’armée du pays depuis 1954 (l’article 9 de la Constitution du Japon dispose que le pays «renonce à jamais à la guerre», ndlr). Ces dix dernières années, les effectifs des yakuza ont diminué d’environ 30%.

Cela étant, si on résonne en termes de chiffre d’affaires, le volume de leurs activités ne cesse d’augmenter. Les yakuza se sont diversifiés et sont présents à l’étranger. Et autrefois, ils se déclaraient comme appartenant au gang X ou Y. Maintenant, certains se déclarent comme appartenant à telle ou telle entreprise. Des sociétés-écrans ont été créées et la présence de la mafia dans l’économie légale s’est accrue.

JOL Press : Comment expliquer cette baisse des effectifs ?
 

Christophe Sabouret : Plusieurs facteurs ont joué, dont la répression menée par les autorités japonaises. En 1992, le gouvernement a fait voter une loi anti-gang, complétée un an après par une loi anti-blanchiment. En 2004, cette loi a été renforcée par une mesure rendant les chefs de clans responsables en cas de dommages causés à des personnes ou des biens. Depuis, les citoyens concernés peuvent demander un dédommagement sur présentation d’une simple preuve.

De plus, il existait autrefois un accord tacite entre les yakuza et les forces de l’ordre : lorsqu’un des membres d’un clan commettait un délit plus grave que d’habitude, il se présentait à la police, passait quelques temps en prison et on en parlait plus. Ce n’est plus la cas aujourd’hui.

Un autre facteur important a été la chute de l’URSS : un des positionnements idéologiques des yakuza était l’anti-communisme. Cela passait notamment par un soutien musclé aux personnes ou aux organisations luttant contre le communisme à l’intérieur et à l’extérieur du pays (les briseurs de grève par exemple). Au début des années 1990, le «boulot» a commencé à manquer de ce côté là.

JOL Press : Comment sont perçus les yakuza dans la société ?
 

Christophe Sabouret : Ces vingt dernières années, il y a eu une désaffection de la population japonaise vis-à-vis de la mafia – ce qui explique aussi la baisse des effectifs de la pègre. La devise des yakuza est «aider le faible, combattre le fort». En pratique, leur fond de commerce c’est plutôt le jeu, le trafic de drogue, la prostitution, le racket etc. Ils ne défendent pas la veuve et l’orphelin : leurs principales victimes, ce sont les «petits».

Par ailleurs, un certain nombre de personnes ont été les victimes collatérales de règlements de comptes entre gangs. Les Japonais ont toujours vécu avec un yakuza à côté de chez eux. Le racket est toléré, mais la mort de civils a contribué à exaspérer la population. Et comme je l’indiquais plus tôt, depuis que la loi anti-gang est passée, il est plus facile pour un citoyen d’intenter une action contre la pègre.

L’image des yakuza, très présents dans certains secteurs économiques, a été ternie par plusieurs scandales. Des affaires de paris truqués ont par exemple entaché la réputation de sports nationaux très populaires, comme le sumo, et celle de la mafia par la même occasion. Des affaires ont aussi éclaboussé des politiques. Les Japonais ont alors eu des preuves concrètes des liens étroits entretenus entre certains dirigeants et les yakuza.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

Quitter la version mobile