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La Centrafrique, preuve du désintérêt de l’UE pour les questions de défense

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JOL Press : L’UE a annoncé ce mardi le lancement d’une opération en Centrafrique. Un contingent d’un millier de soldats viendra donc épauler les forces françaises déjà en place. Cette décision était-elle nécessaire, voire impérative ?
 

Philippe Migault : Quand on prétend avoir une politique de défense et de sécurité commune, on ne peut pas laisser toujours les mêmes – à savoir Français et Britanniques – intervenir. Lorsqu’on intervient en Afrique, il semble pertinent que l’Union européenne fasse un minimum d’efforts. Tout le problème vient de ce minimum.

JOL Press : Ces forces supplémentaires envoyées par l’UE changeront-elles quelque chose pour la situation centrafricaine et pour la mission française ?
 

Philippe Migault : Cela ne changera strictement rien. Cette mission européenne va permettre de dégager des moyens français (troupes, matériel…) qui iront sécuriser d’autres zones que Bangui. Pour autant, la force totale sera de 2800 hommes (Français et autres européens confondus). Parmi eux, 2600 seront sur le terrain. Sur ces derniers, 600 seulement ne sont pas des soldats français, et seront exclusivement cantonnés à la sécurisation de l’aéroport de Bangui, ainsi que de quelques autres quartiers de la ville.

On est tout de même loin des moyens qu’il faudrait pour pacifier tout un pays. En outre, une fois de plus, les Français effectueront une mission de combat, quand les Européens s’occuperont de la sécurité et du maintien de l’ordre… Dès qu’il s’agit d’une mission à risques, les Français sont en première ligne.

JOL Press : Cette intervention, tout comme l’arrivée du contingent français il y a quelques mois, n’est-elle pas un peu utopiste sur les objectifs de sécurisation ?
 

Philippe Migault : Le problème ne vient pas de l’armée mais du mandat qui lui est donné par les pouvoirs politiques. Lorsqu’on décide d’engager des moyens réduits avec des règles d’engagement inadaptées, la faute incombe au pouvoir politique. Très clairement, l’armée française était – et est – parfaitement lucide sur la situation centrafricaine. Elle a tiré, à plusieurs reprises, le signal d’alarme quant au manque de moyens engagés, en vain. Le renfort européen ne répond d’ailleurs que très partiellement à ce manque de moyens.

JOL Press : La faiblesse du contingent décidé par l’UE et le retard de cette décision ne symbolisent-ils pas l’absence d’une réelle politique de défense et de sécurité commune ?
 

Philippe Migault : Absolument. Il n’existe pas de politique commune en la matière. Le fait est qu’hormis la France – qui en l’occurrence envoie des forces dans l’une de ses anciennes colonies – les autres pays ne sont motivés pour aucune action militaire. Les Européens ont confié leur défense aux Américains en 1949, ils ont ensuite baissé drastiquement leur budget… Ils ne veulent plus faire la guerre, ni envoyer des forces dans des pays dont ils se fichent complètement. Les Européens ne sont tout simplement plus intéressés par les questions de défense.

L’appareil militaire qu’ils possèdent encore est hérité de la Guerre froide, et en dehors de la France et du Royaume-Uni, personne n’en fait plus rien.

Par ailleurs, la France ne veut pas admettre ce que les autres pays d’Europe ont pourtant tous compris : assurer la sécurité en Afrique a un coût exorbitant, financier et humain. C’est au-dessus de nos moyens, et nous ne pouvons pas déléguer ces missions aux Africains.

Les Européens ont compris qu’il n’y avait plus rien à faire en Afrique. Les drames existent, certes. Mais compte tenu de la structure politique des États en place, des legs de la colonisation, des haines interethniques, les conditions ne sont pas réunies pour une stabilisation du continent. Ces pays en ont donc tiré les conséquences. Ils ne sont pas prêts à mettre de l’argent pendant des années dans un tonneau des Danaïdes. L’Afrique en est un.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Philippe Migault est Directeur de recherche à l’Institut des Relations Internationales et stratégiques (IRIS). Il est spécialiste des questions de défense.

 

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