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La gestion de la pénibilité dans les entreprises

La gestion de la pénibilité s’impose progressivement comme un aspect essentiel de la gestion des entreprises françaises. Dans le fond, de quoi s’agit-il ? Quelles sont les difficultés ? Quelles perspectives peut-on tracer ? Quels sont les services des entreprises les plus concernés ? Quel rôle pour les responsables HSE ?

1/ la gestion de la pénibilité aujourd’hui :

Depuis la loi 2010-1330 du 9 novembre 2010, gérer la pénibilité dans les entreprises consiste à tracer les expositions des salariés à 10 facteurs de pénibilité* dans le double but initial de permettre aux salariés les plus exposés à des facteurs de pénibilité de partir à la retraite de manière anticipée et, pour les entreprises les plus concernés (dont 50% de leur effectif est qualifié de « à pénibilité »), de réduire cette pénibilité par la mise en place d’un accord ou d’un plan d’action comportant un certain nombre de thématiques obligatoires. L’administration, la DIRECCTE en particulier, étant très vigilante sur ce sujet et attendant des éléments précis de la part des entreprises.

Il faut noter qu’aujourd’hui, du point de vue juridique, la pénibilité « est » ou « n’est pas » sans que les seuils précis n’aient été encore véritablement définis par l’administration. Cela ne va pas sans poser un problème d’appréciation par les entreprises tant cette notion parait intuitivement variable voire même subjective.

Comment, par exemple, utiliser rigoureusement le critère de travail de nuit dans la gestion de la pénibilité en sachant que le code du travail définit deux notions différentes : le « travail de nuit » et le « travailleur de nuit » ? Quid, également, de la caractérisation des « températures extrêmes » (terme non défini dans le code du travail) qu’il faudrait prendre en compte pour statuer sur le fait qu’un poste de travail devrait être considéré comme pénible au titre de ce critère ?

Un décret attendu prochainement concernant la définition des seuils d’exposition à la pénibilité devrait toutefois aider les entreprises dans la définition de règles non subjectives. Il devrait être le bienvenu même si la précision absolue ne sera peut-être pas au rendez-vous.

Depuis le 20 janvier 2014 et la loi n° 2014-40 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, la création du compte personnel de prévention de la pénibilité a été instaurée : au cours de sa carrière un salarié pourra ainsi acquérir des points sur la base de son exposition à des facteurs de pénibilité telle qu’apparaissant dans la fiche individuelle de prévention des expositions qui devra lui être fournie chaque année par son employeur. Un décret en conseil d’état est également attendu pour fixer les modalités d’inscription des points sur le compte.

La loi du 20 janvier 2014 précise que chacun pourra affecter les points de son « compte pénibilité » à une ou plusieurs des trois utilisations suivantes :

1/ La prise en charge de tout ou partie des frais d’une action de formation professionnelle continue en vue d’accéder à un emploi non exposé ou moins exposé à des facteurs de pénibilité ;

2/ Le financement du complément de sa rémunération et des cotisations et contributions sociales légales et conventionnelles en cas de réduction de sa durée de travail ;

3/ Le financement d’une majoration de durée d’assurance vieillesse et d’un départ en retraite avant l’âge légal de départ en retraite de droit commun. »

Pour les salariés, la prise en compte de la pénibilité dépasse donc maintenant le cadre strict de l’âge de leur départ à la retraite car elle pourra désormais conduire à la réduction de leur temps de travail ou leur permettre de suivre des formations pour évoluer vers d’autres emplois.

Notons que la création de ce « compte pénibilité » pour chaque salarié sera associée à de nouvelles cotisations qui seront définies par décret.

On voit bien là que les enjeux de la prise en compte de la pénibilité sont désormais multiples sur le plan de la gestion des ressources humaines dans les entreprises.

2/ Demain, qu’en sera-t-il ?

Indépendamment des précisions attendues par décret comme nous venons de le voir, il nous semble que certaines évolutions sont inévitables.

Ainsi, il est très probable que la notion de pénibilité ne pourra pas rester éternellement cantonnée aux 10 facteurs qui ont été listés, ne serait ce que parce que leur définition n’est pas forcément précise, ou parce que l’existence des risques psychosociaux sera à prendre en compte dans l’analyse et la définition des postes « pénibles ». Si la loi n’évolue pas en tant que telle explicitement en ce sens, les circulaires d’applications et autres jurisprudences s’en chargeront très certainement dans le futur, de même que la pratique de l’administration. C’est d’ailleurs très précisément ce qui s’est passé concernant le Document Unique (bilan d’évaluation des risques) qui, bien que la loi ne l’exige pas explicitement, doit maintenant intégrer les Risques Psycho Sociaux. Il serait logique que, l’analyse de la pénibilité qui est un prolongement du bilan d’évaluation des risques suive le même cheminement intellectuel.

Une autre évolution législative nous parait devoir également être sérieusement envisagée : la graduation de la pénibilité par opposition au système actuel manichéen (« pénible » ou « pas pénible »). Cette graduation permettrait de coller un peu plus à la réalité du terrain et de limiter les effets de seuils mais il serait certainement difficile de la définir.

Il ne faudrait, du reste, pas oublier dans cette réflexion l’inexorable évolution de la démographie avec un vieillissement de la population qui ne pourra que renforcer dans le futur la problématique de la pénibilité en lien avec celle des retraites.

3/ Dans ce contexte, que faire dans nos entreprises ?

Pour commencer, il est essentiel de respecter la loi telle qu’elle est actuellement.

D’abord par principe ; ensuite parce que les pénalités encourues, donc les risques financiers pour les entreprises, sont très significatives : une pénalité de 1% de la masse salariale existe déjà pour les entreprises qui ne seraient pas « dans les clous » (tandis que des cotisations évoquées précédemment devraient compléter le dispositif pour les métiers ou entreprises reconnus « à pénibilité » et pour lesquelles la loi du 24 janvier évoque entre 0,5% et 1,8 % de cotisation sociale) ; enfin parce que la mise en place d’une telle démarche concourt à la réduction des risques aux postes de travail dans l’entreprise et contribue à améliorer le climat social.

Mais, est-ce suffisant ? A notre sens, pas tout à fait…

En effet, la tendance probable est, comme nous l’avons vu, au renforcement de la problématique « pénibilité » dans les années futures. Aujourd’hui, pour ce qui concerne la sécurité au travail, ne pas avoir de Document Unique constitue, en cas d’accident, une cause de faute inexcusable pour l’employeur. Qu’en sera-t-il demain pour les aspects de la pénibilité ? Il est peut-être encore un peu tôt pour poser une telle question… mais un temps viendra certainement où elle sera d’actualité.

Il nous parait donc nécessaire d’inscrire dès maintenant la gestion de la pénibilité dans une démarche d’amélioration continue de manière à anticiper les problèmes ou dangers auxquels s’exposeront les entreprises.

4/ Quels sont les services concernés ? Comment s’organiser ?

On le voit bien, la problématique pénibilité est et restera fondamentalement du ressort de « l’humain », avec toute la subjectivité que cela comporte et ce, d’autant que les problématiques « psycho sociales » viendront influer. Les impacts possibles grandissant pour les salariés concernés, la responsabilité de la gestion globale de la pénibilité ne peut, à notre sens, que revenir aux directions des ressources humaines.

Elle l’est d’ailleurs déjà, ne serait-ce que parce que c’est bien le service RH qui est aujourd’hui chargé de remettre à tout salarié la fiche de prévention des expositions lorsque celui-ci quitte l’entreprise. Elle l’est également parce que c’est bien le service RH qui veille aujourd’hui à ce que cette fiche figure dans le dossier médical ou encore parce que c’est toujours lui qui prend en charge les négociations avec les représentants du personnel dans le cadre de la définition et de la mise en œuvre d’un accord tel que prévu par la loi.

Mais, les services RH ne peuvent pas travailler seuls ! Ils ont besoin des spécialistes pouvant analyser dans le détail les postes de travail dans leurs entreprises et travailler à la réduction de la pénibilité.

Au cœur de celles-ci, l’expertise des services HSE est donc essentielle !

Depuis plusieurs années, les responsables HSE ont la pratique des évaluations des risques aux postes de travail et sont naturellement portés à l’intégration des facteurs de pénibilité (tels que définis actuellement ou plus largement) dans ces analyses. Leur connaissance du terrain leur permettra de mettre en place des solutions pratiques pour la réduction de la pénibilité. Leur expérience des systèmes de management fondés sur le principe de l’amélioration continue constitue également un atout important dans une perspective de prise en compte durable de la pénibilité et de la réduction progressive de celle-ci.

Les services HSE apportent une contribution essentielle, technique et « de management » aux aspects collectifs de la gestion de la pénibilité même si les aspects individuels, financiers ou de négociation sont du ressort des services RH (voire même des directions générales) qui resteront donc les véritables « dépositaires » de la problématique « pénibilité au travail ».

Intégrer la gestion de la pénibilité dans l’évaluation des risques, évaluer l’exposition à la pénibilité de chacun des postes de travail à partir de règles pragmatiques , entamer une démarche de revue annuelle et d’amélioration continue, fournir aux services RH les éléments nécessaires pour permettre à ceux-ci de gérer les fiches individuelles ou le compte personnel de prévention de la pénibilité… voilà les apports indispensables actuels et futurs des services HSE. Qui d’autres qu’eux pourraient les fournir ?

Bernard Fort, Président du directoire de Tennaxia

Emmanuel Pâris, Président d’AliusRH

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