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«La Libye est dans une situation de semi-anarchie»

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JOL Press : Historiquement, quelles relations entretiennent la Libye et la Jordanie ?
 

Frédéric Encel : Ces deux pays entretiennent des relations exécrables. Jusqu’à sa chute, il y a trois ans, le colonel Kadhafi reprochait vertement à la Jordanie d’avoir signé un traité de paix avec Israël, en 1994. Il s’agit d’ailleurs du seul pays arabe à entretenir de bons rapports avec l’Etat hébreu. Du reste, depuis 2011, il est difficile de parler des relations internationales stricto sensu avec Tripoli, dans la mesure où il n’y a pratiquement plus d’Etat libyen – s’agissant notamment des grandes fonctions régaliennes comme la défense ou les affaires étrangères.

JOL Press : Comment ces relations ont-elles évolué ?
 

Frédéric Encel : La situation n’a pas changé depuis la fin du régime de Mouammar Kadhafi. Les relations entre Tripoli et Amman sont loin d’être au beau fixe, mais elles ont été maintenues. La Libye n’a pas retiré son personnel diplomatique de Jordanie, et inversement. Des clans s’affrontent en Libye, en particulier pour la possession des réserves pétrolières, mais aussi sur des convictions idéologiques et religieuses. Certains groupes, qui prônent un islam radical, font pression sur le « Quai d’Orsay » libyen pour rompre les relations avec la Jordanie.

JOL Press : Du côté jordanien, comment perçoit-on la situation en Libye ?
 

Frédéric Encel : Il faut bien avoir à l’esprit que les deux Etats sont éloignés géographiquement (plus de 2 000 km entre les deux capitales, ndlr). La Libye n’évolue pas dans la même sphère géopolitique que la Jordanie. Tripoli est attentif à la situation en Egypte, au Tchad, au Niger etc., ses problématiques ne sont pas proche-orientales.

En réalité, en dépit des rodomontades de Kadhafi, la Libye n’a jamais joué aucun rôle – sauf peut-être en matière de terrorisme – au Proche-Orient. A l’inverse, la Jordanie s’inscrit dans une sphère géopolitique qui inclut les relations difficiles avec Israël, la guerre civile en Irak, le conflit syrien etc.

JOL Press : Les enlèvements d’étrangers se sont multipliés à Tripoli ces derniers mois. Pourquoi ?
 

Frédéric Encel : Le premier motif de ce type d’attaque est politique. De nombreuses personnes (des diplomates, des chercheurs, mais aussi quelques imams) ont été capturées pour des raisons religieuses. Il y a aussi le motif crapuleux, qu’il ne faut pas négliger. Si quelqu’un vaut un certain prix, on l’enlève et on verra bien ce qu’on pourra en tirer…

Actuellement, en Libye, il existe une multitude de groupes mafieux et/ou claniques qui opèrent en toute impunité. En octobre 2013, le Premier ministre libyen a été capturé quelques heures par un commando armés. Fin mars, un diplomate tunisien a été enlevé à Tripoli… Et ces deux exemples sont loin d’être des cas isolés.

La Libye est dans une situation de semi-anarchie, avec à sa tête un gouvernement fantoche. Ce qui explique l’absence de cohésion diplomatique et l’insécurité qui gangrène le pays.

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Frédéric Encel est docteur en géopolitique, professeur de relations internationales à l’ESG Management School et maître de conférences à Sciences Po. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Atlas géopolitique d’Israël. Aspects d’une démocratie en guerre (Autrement, 2008, nouvelle éd. revue et augmentée en 2012) ; Comprendre le Proche-Orient. Une nécessité pour la République, codirigé avec Eric Keslassy (Bréal, 2005).

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