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La lutte contre la piraterie maritime est-elle efficace?

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JOL Press : La piraterie maritime est-elle un épiphénomène ou une vraie menace globale ?
 

Anne Gallais Bouchet : Je vous ferai une réponse de Normand, c’est un peu entre les deux. Ce n’est pas complètement un épiphénomène en raison du nombre d’attaques. Ce phénomène est permanent, récurrent et évolutif. Néanmoins, ça ne remet pas globalement en cause les échanges maritimes mondiaux.

Cette permanence oblige tout de même l’industrie des transports maritimes à se structurer sur certains aspects. Typiquement, la violence qui accompagne parfois ce type d’attaques a forcé les armateurs à avoir recours à des services de protection. Que ce soient ceux des marines nationales ou des sociétés militaires privées. Tandis qu’auparavant, l’armateur devait simplement penser au transport de marchandise. En outre, la formation et la sensibilisation des marins sont très présentes aujourd’hui.

JOL Press : Les cibles privilégiées des pirates sont-elles l’équipage (en vue de rançons) ou la cargaison en elle-même ?
 

Anne Gallais Bouchet : Cela dépend totalement du critère géographique, soit des zones de pirateries. La piraterie sévit surtout dans des zones où les états côtiers sont à la marge et abritent une grande pauvreté, des crises de société… De là, trois grandes zones de piraterie sont recensées : l’Asie, la Corne de l’Afrique et le Golfe du Nigeria. Selon la zone, le mode opératoire et les cibles varient totalement.

Pour la première, la piraterie y a toujours existé. L’Asie est même redevenue aujourd’hui la zone la plus concernée en nombre d’attaques. Mais elles s’apparentent plus à du petit larcin opportuniste. Les pirates sont peu armés (parfois même à l’arme blanche) et visent les effets personnels, l’argent, le petit matériel (cordages, ancres, moteurs auxiliaires), soit des objets que l’on peut revendre facilement. Pour autant, les prises d’otages et violences envers l’équipage y sont rares.

Au large de la Somalie, la criminalité est plus basée sur la prise d’otages, la prise de possession du navire et la demande de rançon. La violence y est allée crescendo au fil des ans. Les pirates se sont structurés et ont multiplié leurs financements.

Enfin, la piraterie est très différente dans le Golfe du Nigéria, en ce qu’elle vise la marchandise en elle-même. En l’occurrence, les hydrocarbures, le pétrole raffiné. Le navire est détourné quelques heures ou jours, le temps de vider sa cargaison.

JOL Press : Existe-t-il une coalition de lutte contre la piraterie regroupant divers pays et puissances maritimes ?
 

Anne Gallais Bouchet : On peut dire ça, en effet. Depuis que la Somalie est revenue sur le devant de la scène à cause de la piraterie au large de ses côtes, des coalitions d’États ont envoyé leurs forces navales sur place. L’OTAN a mis en place le programme Ocean Shield en 2009, quand l’UE a développé la mission Atalanta  en 2008 dans le cadre de l’EUNAVFOR (force navale européenne). Cependant, malgré un impact certain, les forces déployées étaient dérisoires par rapport aux zones géographiques concernées.

En revanche, plusieurs puissances telles que les États-Unis ou les pays de l’UE, ont aidé les États riverains (Mozambique, Kenya) à se structurer dans cette lutte. Elle passe par la formation de « garde-côtes », mais aussi la création de tribunaux spéciaux, la formation de juristes aptes à traiter ces questions…

JOL Press : Cette lutte est-elle réellement efficace ?
 

Anne Gallais Bouchet : L’exemple de l’Asie du Sud-Est est frappant. Jusqu’au début des années 2000, le détroit de Malacca était la zone maritime subissant le plus d’attaques pirates. La Malaisie, Singapour et l’Indonésie ont été aidés par les États-Unis et le Japon, spécialement au vu de l’importance de cette autoroute maritime.

La configuration de la zone a contribué à ce qu’ils relancent les patrouilles, pour mieux quadriller les petits espaces (ce qui ne conviendrait pas aux côtes somaliennes, ouvertes sur tout l’Océan Indien). L’amplification de ces patrouilles – maritimes et aériennes – a généré une baisse significative des attaques dans le détroit de Malacca. Cet exemple montre bien l’efficacité, au cas par cas, de la lutte contre la piraterie.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Anne Gallais Bouchet travaille à l’Institut supérieur d’économie maritime (ISEMAR), où elle est en charge des thématiques de sécurité et d’environnement dans les transports maritimes, ainsi que des questions portuaires. 

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