Site icon La Revue Internationale

La philanthropie locale en plein boom en Afrique

[image:1,l]

« Il y a encore un rôle crucial à jouer pour les bailleurs de fonds étrangers, notamment face aux questions des droits de l’homme, de justice, etc, qu’évitent encore trop souvent de soutenir les donateurs locaux », estime Jenny Hodgson. (Crédit : Shutterstock)
 

Ce sont les nouveaux riches du Nigeria qui ont montré la voie, puis ceux d’Afrique du Sud, du Kenya, du Zimbabwe… Le mécénat ne se développe pas seulement dans les nouvelles puissances économiques du continent, mais aussi au sein de l’élite de pays encore pauvres.

Entre 2000 et 2010, le nombre de fondations communautaires en Afrique a ainsi explosé de 86%, selon le rapport du groupe Global Fund for Community Foundations.

La récession qui frappe l’Occident, le tassement des flux humanitaires Nord-Sud et la croissance économique soutenue en Afrique ne suffisent pas à expliquer l’essor d’une philanthropie locale. Ce qui joue également, c’est « la reconnaissance des défauts du modèle de développement dominant », selon Jenny Hodgson, directrice exécutive du groupe Global Fund for Community Foundations, qui vient de réaliser un rapport sur la question. 
 

JOL Press : La philanthropie devient de plus en plus populaire en Afrique. Pourquoi ?
 

Jenny Hodgson : La philanthropie africaine est aussi vieille que le continent lui-même. Il y a toujours eu une tradition forte de solidarité, résumée par le concept d’« ubuntu », que l’on pourrait traduire approximativement par : « Je suis parce que tu es ». Cela dit, cette solidarité s’est, depuis peu, progressivement organisée, notamment autour de la création de fondations.

Cet essor de formes plus structurées de la philanthropie africaine est en grande partie dû à l’émergence de nouvelles classes de supers riches – on retrouve le même phénomène au Brésil, en Russie, en Inde et en Chine. Il s’agit le plus souvent d’individus qui souhaitent « rendre la pareil » à leur communauté qui les a soutenus.

On observe également que des fondations, créées il y a une dizaine d’années par des contributeurs étrangers, cherchent aujourd’hui à attirer des donateurs locaux, afin de renforcer leur crédibilité en tant qu’institutions « africaines ».

Enfin, on voit l’émergence d’institutions philanthropiques construites autour d’une « communauté » locale, de bailleurs de fonds locaux. A l’origine de ces nouvelles fondations, on trouve des personnes frustrées par les formes traditionnelles d’aide au développement, qui les jugent court-termistes ; venant de l’étranger, cette aide finirait par enlever tout pouvoir aux communautés et donc à s’aliéner les populations.

JOL Press : Cet élan de solidarité est-il une tendance spécifique au continent africain, ou bien assiste-t-on à une sensibilité accrue au niveau mondial à la philanthropie ?
 

Jenny Hodgson : La philanthropie évolue et se développe partout à travers le monde. Reste qu’il se passe bien quelque chose de particulier au niveau de l’Afrique.

Les cultures et traditions africaines donnent une grande résonance aux concepts d’entraide ; la philanthropie est aisément superposable à la solidarité et l’empathie mêmes.

JOL Press : Qui sont les donateurs africains ? Seulement des membres de l’élite, ou bien appartiennent-ils aussi à la classe moyenne, croissante en de nombreux pays du continent ?
 

Jenny Hodgson : Il y a certainement une nouvelle génération de fondations à l’origine desquelles on trouve de supers riches. Mais il y a également des mécanismes et types d’organisations philanthropiques inédits, plus « démocratiques », auxquelles tout un chacun peut contribuer.

Des fondations peuvent désormais très bien compter parmi leurs soutiens aussi bien de très importants bailleurs de fonds internationaux que des entreprises et des individus locaux. Elles organisent des levers de fonds à très petites échelles, auprès des communautés, dont les membres peuvent participer à hauteur de quelques sous.

JOL Press : Quelles causes les donateurs africains sont-ils les plus enclins à financer ? Hésitent-ils à soutenir celles touchant, de plus ou moins près, à la politique, aux droits de l’homme, etc ?
 

Jenny Hodgson : Certainement. Les donateurs locaux peuvent être amenés à éviter de s’engager pour des causes controversées, ou politiques. Il y a donc encore un rôle crucial à jouer pour les bailleurs de fonds étrangers, face aux questions des droits de l’homme, de justice, etc.

Cela dit, on note un nombre croissant de fondations et de fonds africains qui cherchent à convaincre les donateurs locaux, notamment parmi la classe moyenne éduquée, de soutenir des sujets « sensibles ».

« Eduquer » les donateurs est une étape essentielle dans la construction d’un secteur philanthropique dynamique. Afin que ceux-ci non seulement s’engagent dans des causes de plus long-terme (par exemple « mieux » que de « juste » faire repeindre les classes de cours d’une école), mais aussi investissent dans les organisations qui cherchent à renforcer la société civile elles-mêmes. Pour ce faire, il faut aider à renforcer la confiance entre les donateurs et la société civile.

JOL Press : Un don réalisé par un Africain a-t-il un impact différent de celui fait par un étranger ?
 

Jenny Hodgson : L’essor d’un secteur philanthropique local, dynamique, est de nature à modifier la structure du don en Afrique : de haut en bas, venu de l’extérieur, à de bas en haut, davantage proche du terrain, du contexte.

Bien sûr, il existera toujours des exemples de « bons » dons venant de l’étranger et de « mauvais » dons locaux. Reste que la philanthropie africaine offre la promesse d’un engagement plus ajusté et responsabilisant.

Le niveau de l’aide international au développement diminue d’année en année. La société civile africaine est en train de réaliser qu’elle n’a d’autres choix en réalité que de trouver des sources alternatives de financement. La philanthropie locale va devenir, sans aucun doute, un levier d’aide de plus en plus important sur le continent.

Propos recueillis par Coralie Muller pour JOL Press

 

Quitter la version mobile