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«La Somalie est un Etat de non-droit»

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JOL Press : Aujourd’hui, où en est-on en Somalie ?
 

Philippe Hugon : La situation n’est absolument pas maîtrisée. Il n’y a pas de véritable gouvernement central pour surveiller le pays. Les forces de l’Union africaine (Amisom), européennes et de l’ONU jouent évidemment un rôle de sécurité, en mer contre la piraterie et sur terre contre le terrorisme des islamistes shebab. Mais globalement, ce sont ces intégristes qui contrôlent la majorité du territoire. La Somalie est un Etat de non-droit, un Etat failli.

Cela fait plus de 25 ans que le pays n’a pas de gouvernement légitime. Le Parlement fédéral de transition s’est exilé au Kenya. L’Union des tribunaux islamiques (UTI) s’est emparée d’une grande partie du territoire en juin 2006, et est parvenue à une relative pacification de la Somalie. Mais en décembre 2006, le gouvernement transitoire, soutenu par les Occidentaux, s’est opposé à l’UTI. Depuis, les intégristes de ces tribunaux, globalement les shebab, sont les maîtres du pays.

Malgré tout, la société et l’économie continuent de fonctionner, notamment grâce aux revenus envoyés par les migrants somaliens et aux revenus de la piraterie.

JOL Press : Comment expliquer la persistance de cette situation ?
 

Philippe Hugon : L’effondrement du régime de Siyaad Barre, en 1991, a entraîné le pays dans une guerre civile. En décembre 1992, sous mandat de l’ONU, les Etats-Unis ont lancé l’opération «Restore Hope» («Rendre l’espoir»). Cette intervention a été un véritable fiasco, symbolisée par la bataille de Mogadiscio, en octobre 1993. Le président Bill Clinton a donc décidé de retirer ses troupes, et 8 000 Casques bleus de l’ONU ont pris le relais jusqu’en 1995.

Au final, aucune puissance extérieure n’est véritablement intervenue. Malgré ses liens coloniaux avec la Somalie, l’Italie est restée à l’écart. Les Européens sont intervenus parce que les pirates menacent leurs intérêts pétroliers : un tiers du brut passe devant les côtes somaliennes. Il est donc essentiel de protéger ces routes maritimes, mais cela n’est pas suffisant pour permettre la reconstruction de l’Etat.

JOL Press : Comment a évolué la situation ces derniers mois ?
 

Philippe Hugon : Il y a un léger mieux. Les shebab ont été chassés de Mogadiscio en août 2011 et continuent depuis lors d’essuyer une série ininterrompue de défaites militaires. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a plus de piraterie, ou que les shebab ne mènent plus d’actions violentes. Les attentats des islamistes visent en priorité les soldats de l’Amisom et les rares étrangers présents dans le pays.

JOL Press : Peut-on espérer que le gouvernement central arrive à se débarrasser des shebab ?
 

Philippe Hugon : Non, je ne crois pas. Il y a eu une occasion perdue historique qui était de s’appuyer sur les tribunaux islamiques, notamment sur les modérés. Cette solution n’a pas été choisie. Aujourd’hui les shebab ont la force des armes. A moins d’une réelle intervention de la communauté internationale, il n’y a aucune raison de penser que la situation puisse s’améliorer.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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Philippe Hugon est directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), en charge de l’Afrique. Consultant pour de nombreux organismes internationaux et nationaux d’aide au développement, il enseigne au sein du Collège interarmées de défense et à l’Iris Sup’. Il a récemment publié une note sur «Les défis de la stabilité en Centrafrique».

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