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«L’Amérique ne joue plus la carte de la puissance»

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(Photo: Shutterstock.com)

JOL Press : Comment l’antiaméricanisme a-t-il évolué en Europe ces dernières années ?
 

François Durpaire : Il n’existe pas d’indicateur pour mesurer l’antiaméricanisme dans l’ensemble de l’Europe. Les enquêtes d’opinion sur le sujet sont réalisées par les ambassades américaines, qui cherchent à savoir comment les Etats-Unis sont perçus à travers le monde. D’après ces sondages, il ne semble pas qu’on assiste actuellement à une recrudescence du sentiment antiaméricaniste dans les pays européens. En revanche, l’antiaméricanisme d’aujourd’hui n’est plus le même que celui d’il y a 10 ans.

JOL Press : En quoi s’est-il transformé ?
 

François Durpaire : Il faut d’abord marquer une différence en fonction des Etats. On pourrait presque dire : «Dis-moi quel est ton antiaméricanisme, je te dirai à quelle société tu appartiens». En Europe, notamment en Europe de l’Est, on trouve cette idée selon laquelle l’Amérique est plus égocentriste et moins protectrice qu’avant. A l’époque de George W. Bush, on faisait le reproche inverse aux Etats-Unis en les accusant de jouer les gendarmes du monde. 

La situation actuelle, caractérisée par un reflux de l’interventionnisme américain, n’est pas sans rappeler celle d’avant la Guerre froide. Au début du XXe siècle, l’antiaméricanisme européen consistait à dire que les Etats-Unis étaient riches et se désintéressaient de ce qui se passait en dehors de leur territoire. On pensait que cette société isolationniste était entrée dans la Première Guerre mondiale à reculons, et dans la Seconde uniquement pour protéger ses intérêts.

Pendant la Guerre froide, l’antiaméricanisme s’est transformé en un sentiment d’exaspération envers une superpuissance qui pouvait tout. Dès qu’il y avait un problème sur la planète, c’était forcément de la faute ou de la responsabilité des Etats-Unis. Cette phase-là est révolue.

JOL Press : Peut-on précisément dater la fin de cette phase ?
 

François Durpaire : Oui. Elle coïncide avec l’élection de Barack Obama en 2009. George W. Bush était entouré d’une majorité de stratèges pro-interventionnistes. Ils considéraient qu’il était plus important de se faire respecter que de se faire aimer par les autres Etats. Barack Obama est entouré de conseillers – notamment Stephen Walt qui a développé la théorie de l’équilibre des menaces – qui veulent minimiser les éléments offensifs du pays. Stephen Walt considère que la perception d’une menace peut être un facteur de ressentiment envers l’Amérique.

Aujourd’hui, l’interventionnisme américain a tellement été gommé par l’administration Obama que les Etats-Unis n’interviennent plus, ou si peu. En Afrique, que ce soit en Libye, en Centrafrique ou au Mali, c’est la France qui a endossé ce rôle de gendarme. Désormais, l’Amérique joue la carte de l’influence et de l’interdépendance, et non celle de la puissance. Face à un pays comme la Russie, qui rayonne de manière très unilatérale, les Etats-Unis apparaissent faibles.

Certes, on observe une certaine amertume liée au sentiment d’abandon dont je parlais plus tôt. Mais le fait que l’Amérique ne soit plus perçue comme toute puissante contribue à un fort recul de l’antiaméricanisme. Un exemple : juste après la Guerre froide, tous les maux de la mondialisation étaient mis sur le dos des Etats-Unis. Dorénavant, et sur cette question, on pointe aussi du doigt la Chine et les puissances émergentes (Brésil, Inde…).

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François Durpaire est historien, spécialiste des Etats-Unis. Il est enseignant à l’université de Cergy-Pontoise. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Que Sais-je ? Sur l’Histoire des Etats-Unis (PUF, 2013) ; Les Etats-Unis pour Les Nuls avec Thomas Snégaroff (First, 2012) ; L’Amérique de Barack Obama (Demopolis, 2007). Son site : www.durpaire.com.

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