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«L’attitude de l’électorat français va se transposer à l’échelle européenne»

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La Fondation Schuman a publié son rapport annuel de référence l’Europe à quelques semaines des élections européennes Photo DR Shutterstock

JOL Press : A quelques semaines du scrutin, quels sont les principaux enjeux politiques, économiques et diplomatiques de l’élection européenne ?
 

Michel Foucher : Les enjeux diplomatiques sont largement imposés par le caractère critique du voisinage européen, à l’Est et au Sud. La question est de savoir, si, comme d’habitude les Européens se réfugient dans les bras du garant de sécurité en dernier ressort, c’est-à-dire les Etats-Unis, donc l’OTAN, ou si l’on agira également comme acteur stratégique. La réponse n’est pas évidente… Une majorité d’Etats sont indifférents concernant les crises du Sud, pour des raisons géographiques, historiques, culturelles.

Pour les enjeux de l’Est, le rapport à la Russie est probablement le sujet qui divise les 28. On ne peut en effet reprocher à une communauté de 28 Etats de ne pas avoir la même vision de la relation avec la Russie contenu de l’histoire et de la géographie. Je suis d’un réalisme lucide et un peu pessimiste mais je ne pense pas qu’on arrivera à avoir une position commune sur les affaires russes.

Sur le plan politique, la grande question concerne le taux de participation aux élections européennes mais aussi le renouvellement des parlementaires européens, sachant que la personnalité du président joue énormément pour la Commission européenne ainsi que pour le Conseil européen.

Sur le plan économique, nous avons le sentiment qu’après des années de difficultés, des indications de convergence entre le sud et le nord se font sentir. C’est comme cela que les marchés financiers apprécient les efforts de réforme en Europe du Sud. Cela singularise la France qui va entamer des réformes de manière d’autant plus douloureuses qu’elles n’ont pas été faites depuis une quinzaine d’années. Tant que la France – qui a toujours été producteur d’idées – n’a de l’Europe que la  relation qu’un déficit public inférieur à 3 % du PIB, comment voulez-vous que nous soyons en initiative politique?

L’enjeu aujourd’hui concerne la structuration politique de la zone euro qui apparaît de plus en plus comme le « noyau cristallisateur », comme l’explique dit Thierry Chopin dans le rapport Schuman : nous devons mieux structurer la zone euro politiquement. Seulement, je ne suis pas sûr que la France soit au rendez-vous : elle doit d’abord faire un travail domestique. 

JOL Press: L’Union européenne va-t-elle sortir de la crise renforcée ?
 

Michel Foucher : Je ne pense pas que l’Union européenne soit fragilisée. Comme le montre Pascal Lamy dans le rapport Schuman, la zone euro est excédentaire : elle est et restera le premier marché du monde. Reste à savoir si l’Europe sera capable de négocier sur un pied d’égalité avec les Américains sur les questions de normes réglementaires, financières, bancaires, ou si nous allons être contraints – au prétexte que nous avons une sécurité stratégique – de nous aligner. Je pense que nos amis américains vont nous présenter la facture de leur réassurance stratégique.

La construction européenne, qui est un mouvement de convergence entre les vieux Etats nations, ne va pas de soi et n’est pas naturelle : il faut un contexte particulier pour que les intérêts communs émergent. Aujourd’hui nous sommes, tant sur le plan économique que financier ou actuellement stratégique, dans un contexte qui exige que nous nous consultions et que nous fassions émerger des intérêts communs. 

JOL Press : Sans l’Europe et sans une monnaie commune aux Etats Européens, la crise aurait-elle été encore plus violente ?
 

Michel Foucher : Evidemment, c’est d’ailleurs ce qu’affirme  Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne dans le Rapport : l’euro se confirme comme deuxième monnaie de réserve du monde : c’est 40% de la Banque centrale russe, c’est 28% de la banque centrale chinoise. L’euro est une réussite tout à fait extraordinaire réalisée en moins de 20 ans. Les contextes de crise obligent à faire émerger quelques convergences et la monnaie en sort indemne. 

JOL Press : Comment expliquer la méfiance et la révolte des citoyens envers leurs institutions ? Quel impact cela aura-t-il lors des élections européennes ?
 

Michel Foucher : On dit tantôt que les populistes vont gagner, tantôt que c’est le parti populaire européen qui l’emportera…Encore une fois, je crois que l’engagement européen ne va pas de soi. La construction européenne est probablement victime d’une crise beaucoup plus profonde des systèmes démocratiques à l’intérieur de chaque Etat.

En France, l’attitude de l’électorat à l’échelle nationale va se transposer à l’échelle européenne. Je ne pense pas qu’il y ait une révolte contre les acquis. Il est vrai que la confiance dans le projet européen baisse, c’est ce que nous montrons dans le rapport Schuman 2014, mais dans le même temps il y a une conscience des valeurs européennes communes, on salue la libre-circulation, et l’euro est certes critiqué, mais personne ne veut l’abandonner. 

JOL Press: Face aux doutes des citoyens est-il urgent de renforcer ou de créer de nouvelles initiatives pour le projet européen ?
 

Michel Foucher : Je pense qu’il faut encourager et favoriser la mobilité au sein de l’Union européenne, comme par exemple le programme d’échange Erasmus. Nous devons également faciliter les activités culturelles de type « Capitale européenne de la culture » qui donnent des résultats extraordinaires. Aujourd’hui, la principale difficulté réside dans l’absence de conscience suffisamment commune des intérêts communs.

Propos recueillis par Louise Michel D pour JOL Press

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Michel Foucher est géographe, essayiste,  et co-auteur du « Rapport Schuman sur l’Europe, l’état de l’Union en 2014 »

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