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Le Japon s’autorise à exporter des armes

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JOL Press : Quelle est l’origine de cette interdiction ?
 

Christophe Sabouret : En 1967, alors qu’on était en pleine guerre froide, le Japon avait décidé d’interdire les exportations d’armes vers les pays communistes – l’URSS mais aussi la Chine et la Corée du Nord –, vers ceux qui sont sous embargo de l’ONU sur les ventes d’armes, et enfin vers les Etats impliqués dans des conflits internationaux ou susceptibles de l’être. En 1976, ces restrictions avaient été renforcées, aboutissant à une interdiction totale des ventes d’armes.

Les Etats-Unis avaient fortement suggéré cette auto-interdiction au Japon, protégé par le « parapluie nucléaire » américain depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

JOL Press : Le gouvernement vient de lever cet interdit. Comment interpréter cette décision ?
 

Christophe Sabouret : La raison est à la fois lointaine et personnelle. Eisaku Sato, le Premier ministre japonais en fonction en 1967, était le grand-oncle de Shinzo Abe. Il a obtenu le prix Nobel de la paix en 1974 pour avoir mené une politique pacifiste. Or, en marge de ses déclarations officielles, Eisaku Sato évoquait la possibilité pour le Japon de posséder des armes nucléaires et d’exporter du matériel de défense.

D’autre part, on observe actuellement une montée des tensions sécuritaires dans la région, avec la Chine autour des îles Senkaku/Diaoyu, mais aussi avec les deux Corées et la Russie. Un certain nombre de faits (tirs de missiles, violations des eaux territoriales etc.) ont conduit les dirigeants japonais à renforcer leur sécurité.

JOL Press : L’argument économique a-t-il joué ?
 

Christophe Sabouret : Oui. Il faut aussi prendre en compte la volonté de redresser l’industrie japonaise de l’armement, en berne depuis des d’années. Cette volonté mercantile est bien évidemment encouragée par l’importance du « gâteau » que représente ce secteur à l’échelle mondiale (l’organisme Sipri évalue le montant des ventes d’armes et services à caractère militaire par les plus grandes entreprises productrices à 395 milliards de dollars en 2012, ndlr).

Un autre élément a joué. On en a très peu parlé, car cela est intervenu juste après la catastrophe nucléaire de Fukushima : au printemps 2011, les Etats-Unis ont levé leur embargo sur les ventes d’armes à la Chine. Et généralement, les prises de position politiques du Japon en matière d’armement suivent de près les décisions américaines.

JOL Press : Quelles pourraient être les conséquences de cette décision ?
 

Christophe Sabouret : Ces nouvelles règles vont permettre le développement et la production d’armes en partenariat avec les Etats-Unis et des pays européens. Le Japon a indiqué qu’il n’exporterait pas d’armes qui pourraient représenter une menace pour la paix et la sécurité mondiales. L’archipel vendra ainsi des équipements militaires à des fins pacifiques et humanitaires, comme dans le cas de missions de l’ONU. Et le gouvernement nippon s’assurera au préalable contre tout risque de ré-exportation vers un pays tiers.

L’exportation de matériel est une finalité, mais ce que recherche aussi le gouvernement japonais, c’est la participation à des programmes de recherche (par exemple pour le bombardier furtif F-35 en collaboration avec les Américains). A la différence des autres puissances asiatiques, le Japon recherche la qualité et non la quantité en matière d’armement, pour ensuite vendre de l’équipement militaire high-tech.

JOL Press : Le levée de cette interdiction est-elle un premier pas vers la suppression de l’article 9 de la Constitution japonaise, qui dispose que le pays « renonce à jamais à la guerre » ?
 

Christophe Sabouret : Shinzo Abe et ses partisans souhaitent retoucher la Constitution et retirer ce fameux article – qui entrave l’économie et qui est une épine dans le pied de la mémoire japonaise. Ce discours n’est pas neuf et date des années 1990. Pour les conservateurs, il s’agirait d’une troisième et dernière étape, après avoir doté le Japon d’un véritable ministère de la Défense en 2006 et la levée de l’interdiction de vendre des armes à l’étranger. Cela permettrait au Japon d’avoir une armée offensive.

Mais cette position est loin de faire l’unanimité au sein de la classe politique, y compris dans le camp de l’actuel Premier ministre (c’est par exemple le cas de Yoichi Masuzoe, le gouverneur de Tokyo). Par ailleurs, d’après les sondages réalisés régulièrement sur cette question, une grande majorité des Japonais sont opposés à une révision de le Constitution et tiennent à cet article 9. Et selon une récente enquête, près de 67% d’entre eux se disent opposés à des exportations d’armes.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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