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Le pacte de stabilité est-il de gauche?

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Si Manuel Valls se dit « confiant » sur le vote du programme de stabilité, il devra malgré face à la défiance du Parti de Gauche et de Jean-Luc Mélenchon, ce mardi 29 avril à l’Assemblée nationale. « Je suis pour que Valls soit battu », a déclaré le député européen, invité dimanche 27 avril du Grand Jury RTL/ Le Figaro / LCI. « Je souhaite qu’il soit mis en minorité, puis que l’on fasse une autre majorité avec les mêmes, puisque les députés qui sont là ont été élus par les électeurs du Front de gauche, les électeurs écologistes et les électeurs socialistes », a défendu le co-président du Front de Gauche.

Et d’ajouter : « Nous avons une majorité de gauche dans cette salle de l’Assemblée nationale, c’est François Hollande et lui tout seul qui a décidé de mettre le curseur du centre de gravité de cette gauche le plus à droite possible. Les gens n’ont pas voté pour ça ». La politique mise en place par le gouvernement ne serait-elle plus une politique de gauche ? Eléments de réponse avec Philippe Braud, politologue français spécialiste de sociologie politique.

JOL Press : Pour quelles raisons le pacte de stabilité pose-t-il autant de problèmes à certains députés socialistes ?

Philippe Braud : Il faut reconnaître que le pacte de stabilité est un virage dans la stratégie économique des socialistes. Les socialistes, jusqu’ici, ont toujours pensé qu’il fallait savoir stimuler la dépense, qu’il ne fallait pas avoir peur d’emprunter et qu’il ne fallait pas avoir peur de s’endetter. C’est une stratégie que l’on appelle keynésienne. Le malheur c’est qu’aujourd’hui, cette stratégie ne colle pas parce que nous sommes dans l’Union européenne et qu’au, sein de l’UE, une autre stratégie a été adoptée, à la suite de l’Allemagne et des pays d’Europe du nord, qui prône un équilibre budgétaire rigoureux et de tenue des finances publiques. Elle exige une réduction des dépenses, car elle est défavorable à l’augmentation des impôts qui pèsent sur la consommation des ménages.

Jusqu’à présent, les socialistes étaient à contre-courant des idées dominantes dans l’Union européenne aussi bien à Bruxelles, qu’à Berlin, La Haye ou encore Londres. Il est clair que les socialistes ne pouvaient pas espérer se faire élire en 2012 en déclarant qu’ils allaient faire la même politique que Bruxelles, c’est-à-dire la même politique que François Fillon ou Nicolas Sarkozy. Ils ont défendu une stratégie qui s’est révélée non payante jusqu’ici : nous n’avons pas assisté à un recul majeur du chômage, ni à un retour à l’équilibre. François Hollande a donc décidé de s’aligner sur les pays européens.

Il était évident qu’un certain nombre de députés au sein du PS allait s’indigner de cette nouvelle politique et manifester leur mécontentement, d’autant que cette stratégie implique des mesures impopulaires. Certains à gauche ne veulent pas qu’on comprime les dépenses publiques, notamment pour les fonctionnaires, et pour eux les ressources se trouvent du côté des riches. Il est vrai que ces propositions sont plutôt populaires mais, quand on augmente les impôts sur les riches, ils se sauvent et quand on augmente les impôts sur les classes moyennes, le résultat est désastreux pour la croissance parce que les impôts ont un impact direct sur la consommation des ménages.

Il faut avoir le courage de mettre en place des réformes impopulaires et de faire des coupes sombres dans les dépenses publiques. C’est la ligne qu’a choisi de défendre le gouvernement.

JOL Press : Quels sont les grands symboles de la gauche que ce pacte attaquerait ?

Philippe Braud : Avec ce pacte, le gouvernement renonce à surtaxer les revenus les plus élevés ou le capital, il ose geler la progression des retraites et le point de référence pour les rémunérations des fonctionnaires. D’une façon générale, le gouvernement déclare que l’Etat dépense trop et qu’il faut réduire les coûts. Il existe, par ailleurs, un problème de compréhension au sein même de la gauche : nombreux sont ceux qui pensent que les aides aux entreprises sont des cadeaux aux patrons. Dans le pacte de stabilité, l’exécutif adopte la stratégie de l’allègement des charges pour les entreprises afin qu’elles puissent créer davantage d’emplois et pour qu’elles soient plus compétitives. Mais la gauche, dans ce qu’elle a de plus traditionnel, continue à considérer ces stratégies comme des cadeaux aux patrons.

JOL Press : Y a-t-il une gauche de gouvernement et une gauche de parti ou cette distinction est-elle due à la politique de François Hollande ?

Philippe Braud : Les cadres du Parti socialiste savent pertinemment que les recettes traditionnelles de la gauche ne marchent pas pour lutter contre le chômage quand il n’y a pas de croissance. Très peu de leaders ont osé le dire parce qu’une telle déclaration serait considérée comme un aveu d’échec de la stratégie traditionnelle des socialistes et une façon de dire que finalement c’est l’Union européenne qui a raison et par là le gouvernement Fillon. Parce qu’après tout le pacte de responsabilité pourrait tout à fait être signé de François Fillon.

Je crois que la grande faiblesse de la gauche de la gauche, et de la culture de gauche traditionnelle, c’est qu’elle n’a pas de stratégie alternative. Ce qui a été essayé, comme les emplois aidés, ne donne pas de résultats vraiment tangibles.

JOL Press : Si le pacte est voté, les socialistes acteront-ils un divorce avec leur électorat ?

Philippe Braud : Les socialistes vont, en effet, divorcer avec une partie de leur électorat, dans la mesure où l’électorat le plus populaire de la gauche n’a pas compris la nouvelle démarche du gouvernement parce que, jusqu’à janvier dernier, on ne le lui a pas expliqué. Il va y avoir un divorce au sein de la gauche lié à un manque de pédagogie mais aussi au fait que, pendant trop longtemps, les leaders de gauche ont pensé qu’on pouvait lutter contre le chômage avec les vieilles recettes.

Et il y aura des conséquences immédiates : comme on l’a vu aux municipales et comme on le verra très certainement aux européennes, l’électorat traditionnel de la gauche va se résigner et s’abstenir, ce qui laissera un boulevard aux partis adverses. Cela étant dit, le gouvernement Valls peut très bien, avec ses mesures impopulaires, obtenir des résultats et si, d’ici deux ans, il obtient des résultats en matière de recul sensible du chômage, on oubliera les mesures impopulaires et en 2017 la gauche socialiste peut retrouver ses chances.

JOL Press : Autour de quelles valeurs la gauche peut-elle aujourd’hui se retrouver ?

Philippe Braud : C’est LE vrai problème de la gauche. Nous sommes dans une société de moins en moins idéologisée et aujourd’hui la gauche et la droite défendent des valeurs largement convergentes. Mais quand on est à gauche et qu’on veut battre la droite ou quand on est à droite et qu’on veut battre la gauche, on souligne les divergences mais elles ne sont pas si fortes que cela, dans les faits. Entre les partis de gouvernement, l’UMP d’un côté et le PS de l’autre, la divergence des valeurs n’est pas très forte mais électoralement parlant ce n’est pas payant de l’avouer. On aimerait bien croire qu’on est très différent.

L’une des tentatives pour la gauche de montrer sa différence est de mettre en avant les réformes de société, comme celle du Mariage pour tous, mais on s’est aperçu qu’une partie de l’électorat UMP était favorable au mariage homosexuel et qu’une partie de l’électorat de gauche, en particulier dans les régions rurales, était plus circonspecte. Le clivage n’est pas si simple. Même cette différence n’est pas si évidente. En revanche sur les questions économiques et sociales, il est de plus en plus difficile de différencier la gauche de la droite.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Braud, ancien directeur du département de Sciences politiques de la Sorbonne, est professeur émérite des universités à Sciences Po Paris et Visiting Professor à l’université de Princeton (WoodrowWilson School).

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