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«L’Union européenne ne doit pas abandonner ses partenaires africains»

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JOL Press : Le sommet UE/Afrique s’ouvre demain à Bruxelles. Alors que l’UE a établi de nombreux partenariats avec la Méditerranée, avec la région du Sahel, avec l’Afrique du Sud etc., pourquoi ne parvient-elle pas à considérer l’Afrique comme un seul ensemble ?
 

Philippe Hugon : L’Union européenne a plusieurs dispositifs de relations extérieures et elle traite effectivement séparément avec les pays africains. Elle a des accords de libre-échange avec les pays méditerranéens via le processus de Barcelone et l’Union pour la Méditerranée, des accords de partenariat économique avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique) et un troisième dispositif d’accords avec l’Afrique du Sud. À la différence de l’Union africaine, qui considère que tous les pays du continent sont membres – à l’exception du Maroc à cause de la question du Sahara occidental –, l’UE traite séparément l’Afrique en 3 ensembles : l’Afrique du Nord, l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Sud.

JOL Press : La création d’un marché commun africain à l’horizon 2017 a été plusieurs fois évoquée ces derniers temps. Qu’en est-il ? Quel serait l’avantage pour l’Afrique de se constituer en « bloc régional » sur le modèle de l’UE ?
 

Philippe Hugon : Il y a eu quelques avancées dans le domaine de l’intégration régionale. Il y a cinq grandes régions en Afrique : certaines sont relativement dynamiques – l’Afrique australe et l’Afrique orientale – d’autres connaissent des crises importantes comme l’Afrique de l’Ouest parce que le Nigéria n’est pas vraiment une puissance intégratrice et la Côte d’Ivoire, qui était la locomotive de l’UMOA (Union monétaire ouest-africaine) est en panne. Il ne se passe absolument rien en Afrique du Nord dans le cadre de l’UMA (Union du Maghreb arabe), et il n’y a pas non plus beaucoup d’avancées dans les pays d’Afrique centrale si ce n’est, du point de vue monétaire, l’organisation des pays de la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale). L’intégration régionale se fait donc lentement et très différemment selon les zones, mais qu’évidemment on n’est pas du tout dans la vision d’un marché africain mais uniquement dans la vision d’ensembles régionaux plus intégrés. Il est évident que l’intégration régionale est un des éléments absolument déterminants du futur du développement de l’Afrique.

JOL Press : Quel impact la crise européenne a-t-elle eu sur les relations entre l’Europe et les marchés africains ?
 

Philippe Hugon : L’Europe est toujours dépendante de l’Afrique, notamment dans le domaine énergétique. Les intérêts européens sont durables parce que l’Afrique est un espace de proximité, mais tous les États européens ne s’intéressent pas à l’Afrique, car certains n’ont ni histoire commune ni proximité géographique avec le continent africain. Globalement, malgré la crise, l’ensemble des pays de l’Union européenne reste le premier bailleur de fonds de l’Afrique (un peu plus de 50% de l’aide). Par contre, les relations commerciales se sont fortement distendues et l’Europe a perdu sa place par rapport aux pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Turquie, Iran, pays pétroliers du monde arabe). L’Europe est donc beaucoup moins présente sur les marchés africains.

JOL Press : L’UE doit-elle craindre cette concurrence de la Chine et des pays émergents sur le continent africain ?
 

Philippe Hugon : L’Afrique est sortie des relations postcoloniales qui privilégiaient ses relations avec l’Europe. C’est tout à fait normal qu’après 50 ans d’indépendance, l’Afrique diversifie ses partenaires. C’est maintenant aux opérateurs européens d’agir dans le cadre de la mondialisation, de voir que l’Afrique est un marché potentiel important, que c’est un espace de proximité pour l’Europe, qu’il y a des ressources à la fois naturelles (du sol et du sous-sol) mais aussi humaines très importantes. Les États européens ont intérêt à ne pas abandonner l’Afrique car les concurrents sont d’autant plus présents que les acteurs européens sont absents.

JOL Press : Que peuvent espérer les pays africains de ce sommet ?
 

Philippe Hugon : Il y aura peut-être quelques avancées par rapport aux accords de partenariats économiques, accords qui auraient dû être signés il y a 7 ans mais qui traînent toujours. Le dossier sur l’accord de partenariat entre les États de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et l’UE a fortement avancé malgré quelques points de blocage, et devrait être évoqué lors de ce sommet. Restent les accords avec les autres régions africaines qui, eux, n’ont pas vraiment progressé. Il y aura aussi sûrement des avancées dans le domaine de la défense, notamment au sujet de la Centrafrique où l’UE doit enfin envoyer des troupes pour compléter la force Sangaris et la force de la MISCA. L’Europe en tant que telle a toujours du mal à s’engager militairement, beaucoup d’Etats sont très réticents à l’appui militaire y compris dans certains pays qui connaissent des crises humanitaires comme le Mali ou la Centrafrique (l’Allemagne était réticente à intervenir).

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Philippe Hugon est directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), en charge de l’Afrique. Consultant pour de nombreux organismes internationaux et nationaux d’aide au développement, il enseigne au sein du Collège interarmées de défense et l’IRIS SUP’. Il a par ailleurs enseigné au Cameroun et à Madagascar. Il est également directeur scientifique de la Revue Tiers Monde et chargé du chapitre « Afrique Subsaharienne » dans L’Année stratégique. Il a récemment publié une note sur « Les défis de la stabilité en Centrafrique ».

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