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Magistrats et avocats: pas du même monde!

Il y a bien longtemps que le mythe de la grande famille judiciaire qui réunirait magistrats et avocats, surtout en matière pénale, dans un même élan et au service d’une même cause est passé à la trappe. Force est de constater qu’avec l’élection de François Hollande et les mises en cause, ici ou là, de Nicolas Sarkozy, ce processus d’éloignement s’est encore aggravé comme si l’indépendance laissée aux juges dans l’instruction des dossiers sensibles depuis le mois de mai 2012 avait permis de concentrer les antagonismes sur la relation orageuse entre ceux qui sont au service de l’intérêt social et ceux qui défendent leur clientèle.

Depuis que j’ai quitté la magistrature au mois d’octobre 2011 sans que l’acrimonie vienne altérer mon jugement et sans non plus la béatitude qu’une forme de nostalgie, que je n’éprouve pas, pourrait susciter, je me suis senti l’obligation, à plusieurs reprises, de venir au soutien de pratiques courageuses et indépendantes qui n’avaient que le tort de venir bousculer le pré carré des avocats pénalistes. Même si la majorité de ceux-ci n’est pas intervenue dans les controverses et que quelques autres n’ont pas été, dans leur dénonciation, à la hauteur de la détestation d’un Eric Dupond-Moretti qui rêverait d’un monde de justice d’où les magistrats seraient absents, en tout cas tellement pétris de doute que condamner leur deviendrait inconcevable, il était impossible de demeurer sans réaction face aux attaques odieuses contre Jean-Michel Gentil ou, plus tard, au sujet des écoutes de Nicolas Sarkozy et, par ricochet, du rôle de Me Thierry Herzog.

Je n’ai jamais mieux compris que durant cette effervescente période pourquoi, en dehors de la complexité judiciaro-bureaucratique, pas un instant je n’avais envisagé intellectuellement, profondément, de m’inscrire au barreau pour tenter de m’adonner au droit de la presse et à la procédure criminelle. J’ai longtemps pensé que c’était le seul rapport avec la vérité qui était susceptible de constituer une ligne de partage entre les pénalistes, qui heureusement ne sont plus regardés de haut par leurs confrères civilistes, et moi-même après plus de vingt ans à la cour d’assises de Paris.

Relativisme social

Certes, je n’aurais pas été capable de cette vertu d’indifférence, de ce relativisme social et de cette bataille totalement autarcique exclusivement consacrée à sauver la mise à un accusé ou à un prévenu en se persuadant qu’il était innocent comme il le prétendait ou pas gravement coupable comme les faits le démontraient. La vérité est évidemment, dans cette empoignade entre une cause qui vous a choisi – aujourd’hui c’est l’assassin, demain ç’aurait pu être sa victime – et l’institution qui va vous donner raison ou tort, mise hors jeu. Elle est le cadet des soucis du conseil et, à la supposer tout de même là lancinante, trop présente, elle constituerait plus un frein qu’une chance pour le questionnement et la plaidoirie de la défense.

Pour ma part, j’ai toujours considéré, sans doute avec des excès, qu’au-dessus de la vérité de l’audience, il y a la vérité tout court. L’idéal était au moins, où qu’on soit, de les faire coïncider au lieu de se complaire à les croire tellement distinctes que le procès est alors voué à se dégrader en un exercice brillant et sophistique contre la vie authentique ailleurs à l’extérieur de ses murs. Comment, d’ailleurs, en serait-il autrement pour des avocats réputés qui passent sans frémir de la cour d’assises à la mise à disposition de leur talent pour la sauvegarde, par exemple, d’une Yamina Benguigui (Le Parisien) ?

omment pourrait-on, avec de telles variations et une telle ductilité, s’ancrer dans une morale de la vérité qui vous contraindrait à accepter la vérité de la morale dans un univers d’arbitrage, de contradiction, de débat et d’apparence dont on veut sans cesse l’expulser ? Le client vous choisit d’abord et, ensuite, on habille, on orne, on invente, on pourfend, on construit et on s’indigne si on ne convainc pas. Depuis des années, je suis surpris de remarquer que, malgré la qualité humaine et professionnelle majoritairement décelable dans la magistrature comme au barreau, pourtant il y a toujours eu un désaccord profond sur les exigences pénales et la vision de la société.

L‘exonération de l’humain

Alors qu’au moins pour les citoyens derrière leur statut officiel, les valeurs de vérité, de rigueur, d’utilité sociale, de protection, d’équité, d’humanité et d’efficacité, dans la lutte contre la délinquance et la criminalité devraient être communes et également partagées. Cela n’a jamais été le cas pour les professionnels de la justice, pour ceux qui poursuivent au nom de l’intérêt social, avocats de tous les citoyens, et ceux qui défendent, avocats du particulier et du singulier. Les uns ont l’universel en charge quand les autres ont pour ambition de faire valoir en son sein l’imprévisibilité, le désordre et parfois l’exonération de l’humain.

A vrai dire, l’explication de ce hiatus crevait pourtant l’esprit. Au-delà des considérations nobles et fabriquées sur l’état de droit, il est clair que les avocats n’appréhendent les dispositions pénales, répressives présentes ou projetées que par rapport à leur clientèle actuelle ou future. Tout ce qui permettra encore davantage qu’aujourd’hui de la renforcer dans ses moyens de défense et de dissimulation sera bienvenu. Tout ce qui pourrait au contraire – ce ne sera pas sous la gauche de Christiane Taubira ! – mieux armer la société contre les transgresseurs, contre les délits et les crimes, sera contesté avec le talent pour la dialectique de certaines sommités du barreau et un appui médiatique qui va naturellement vers l’humanisme affiché et superficiel.

Rigueur morale

Car derrière, il y a, comme une obsession, cette interrogation élémentaire : la loi d’aujourd’hui ou de demain va-t-elle, oui ou non, me faciliter la tâche ? Rien de plus, rien de moins. Comme le service du client est le paramètre suprême, on voit mal en effet au nom de quoi l’avocat céderait la place au citoyen et le camp du particulier à celui de la communauté. Et les magistrats, eux, se retrouvent moqués parce qu’ils ont la faiblesse superbe de continuer à faire fond sur les principes qui structurent une société et assurent sa sauvegarde pour TOUS. Cela ne signifie pas qu’ils sont forcément parfaits et exemplaires dans leurs pratiques.

Cela montre seulement qu’il faut cesser mécaniquement d’encenser les avocats en les invitant, à contre-emploi, à formuler un point de vue objectif sur l’état de droit, ses avancées et ses retards, alors que leur subjectivité intéressée est totale. Je n’aurais pas eu envie d’écrire ce billet qui dédaigne les nuances et occulte mon admiration, mon amitié pour de rares personnalités du barreau qui concilient – et ils ont du mérite – honnêteté intellectuelle, urbanité judiciaire, liberté personnelle et rigueur morale si, au cours de ces derniers mois je n’avais pas perçu une alliance suspecte et choquante des avocats, des politiques et de la plupart des médias contre les juges et le prétendu gouvernement qu’ils voudraient instaurer.

Ceux-ci ont bien assez à faire en cherchant à lever les chapes de secret et de mensonge qui, pour les enquêtes et les instructions, risquent d’entraver, pour la démocratie qui a besoin d’elles, les voies et les voix de la vérité et de la justice. Magistrats et avocats : pas du même monde ! Les premiers devraient être fiers de ce qu’ils sont et font et les seconds moins assurés de l’aura dont ils se gratifient et que d’aucuns leur prodiguent.

Lire d’autres articles de l’auteur sur son blog Justice au singulier

 

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