Site icon La Revue Internationale

Mélenchon, Le Pen, Désir: mauvais élèves du Parlement européen

[image:1,l]

JOL Press : L’absentéisme parlementaire est souvent imputé aux eurosceptiques. Harlem Désir, européiste convaincu, est pourtant l’un des moins assidus quand, à l’inverse, les députés eurosceptiques britanniques sont très présents. Quel enseignement faut-il en tirer ?
 

Bruno Cautrès : Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Harlem Désir ont en commun d’être tous trois chefs de parti. Ils exercent des responsabilités politiques nationales importantes même si elles sont récentes pour Marine Le Pen et Harlem Désir pendant leur mandat européen 2009-2014. A l’instar du cumul des mandats, il semble donc exister un vrai problème lorsque des personnalités politiques sont élues au Parlement européen, alors même qu’elles ont un rôle – ou une fonction – politique national de premier ordre.

Heureusement, d’ailleurs, qu’il est interdit d’être à la fois parlementaire national et européen…

Par ailleurs, on voit dans les statistiques Votewatch que la France est en queue de peloton en matière d’assiduité. Elle se situe dans le dernier tiers sur la mandature actuelle.

JOL Press : Les pays possédant le plus fort taux d’assiduité sont l’Autriche, le Luxembourg, mais aussi la Croatie ou l’Estonie. Il est difficile d’en ressortir une logique…
 

Bruno Cautrès : Effectivement, un tel classement sous-entend une pluralité des facteurs. Il dépend ainsi des différences entre la vie politique de chacun des pays membres. La manière dont est perçue l’eurodéputation (cadeau de compensation…) joue également. En outre, la culture et le fonctionnement politiques nationaux influent grandement : un député français a pu avoir l’habitude de siéger dans une Assemblée nationale dont l’assiduité en séance plénière n’est vraiment pas le point fort, même si l’on sait que les députés ou sénateurs travaillent beaucoup en commissions parlementaires. Enfin, on peut faire l’hypothèse que l’implication des eurodéputés est influencée par l’acuité du débat sur l’Europe dans leurs pays.

JOL Press : Que ce soit pour le Parlement européen ou l’Assemblée nationale, cet absentéisme ne révèle-t-il pas une lassitude des politiques eux-mêmes pour le système parlementaire ?
 

Bruno Cautrès : Je ne pense pas. La question porte plutôt sur les ambiguïtés d’un mandat de député européen : doit-on se fondre dans le moule d’une vie politique européenne  ou rester en même temps une personnalité politique nationale ? Les deux semblent difficiles à concilier. Le mandat d’eurodéputé est en fait très prenant, si on veut s’y impliquer, et il faut le temps de se socialiser à un rôle politique supranational, joué au sein d’un groupe où coexistent plusieurs nationalités, et d’apprendre la culture du compromis.

Parmi les hommes politiques, tous n’ont pas réussi à devenir des hommes politiques de référence au plan européen. Quelque uns, comme par exemple Daniel Cohn-Bendit, représentent bien cet engagement européen, sans autre mandat national même si de notables exceptions existent (par exemple, les données de Votewatch montrent que Rachida Dati, maire du 7ème arrondissement de Paris, a obtenu un taux de présence supérieur à d’autres eurodéputés français).

JOL Press : La méfiance envers les institutions européennes et les doutes sur leur utilité, que l’on constate chez les électeurs, se propagerait-elle chez les élus ?
 

Bruno Cautrès : Elle peut en tout cas pousser certains hommes politiques à cultiver leur dimension nationale, et les inciter à ne pas trop se montrer les apôtres de l’Europe. D’ailleurs, la vie politique française nous le montre facilement : les hommes politiques ont tendance à nationaliser les succès et à européaniser les échecs.

Affirmer, aujourd’hui, une posture d’européen convaincu peut-être risqué pour une carrière politique nationale. François Bayrou est l’un des seuls à avoir joué, à une époque, cette carte-là.  Il semble aujourd’hui s’avancer moins fréquemment sur ces thématiques : si ses propositions en 2012 comportaient des éléments importants sur l’Europe, sa volonté de se présidentialiser a eu tendance à faire passer son credo européen un peu au second plan, par rapport au thème des dettes publiques.

A contrario, Daniel Cohn-Bendit ou Michel Barnier ont assumé leur engagement et discours européen au détriment d’un vrai rôle de premier plan dans la politique française.

JOL Press : L’absentéisme est souvent utilisé comme argument contre diverses personnalités (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Harlem Désir…). Cette attaque est-elle recevable ?
 

Bruno Cautrès : Si cet absentéisme pose question, je ne doute pas que nos hommes politiques français vont trouver à le justifier : vont-ils expliquer que c’est le manque de démocratie dans le fonctionnement de l’Europe qui pourrait justifier leur absentéisme ? ou que c’est la volonté d’être au plus proche des préoccupations des français qui les éloigne du Parlement européen ?

N’oublions pas le climat de  méfiance des Français envers la classe politique. Celle-ci est vue comme déconnectée de la réalité, touchant des dividendes importants, ne se préoccupant pas des problèmes des gens et ne pensant qu’à leur réélection. Il s’agit de perceptions, alors même que la classe politique compte beaucoup d’hommes et des femmes politiques convaincus et honnêtes ; mais une donnée comme l’absentéisme en séances ne peut que renforcer cette perception.

JOL Press : Les députés européens choisissent parfois très mal leur moment pour « sécher » les séances parlementaires… Comment expliquer qu’un Jean-Luc Mélenchon, qui se targue de défendre les classes populaires et paysannes, soit absent lors du vote primordial du texte de la Politique agricole commune en mars ?
 

Bruno Cautrès : Cette absence est évidemment dommageable, et un peu incompréhensible. C’est bien d’hommes et de femmes de conviction (comme le fougueux leader du Parti de Gauche, ou d’autres tant à gauche qu’à droite) dont la vie politique européenne a besoin. Les citoyens européens ont besoin que leurs hommes et femmes politiques s’impliquent dans leurs rôles au Parlement européen, expliquent ce qu’ils y font et articulent les problèmes politiques nationaux et européens.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

————————

Bruno Cautrès est chercheur au CNRS et politologue au CEVIPOF de Sciences Po. Il est spécialisé dans l’analyse des comportements et attitudes politiques, notamment les thématiques des clivages sociaux et politiques liés à l’Europe, et l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques.

Quitter la version mobile