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New York: la police n’espionnera plus les musulmans

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JOL Press : Dans quel contexte cette unité a-t-elle été créée ?
 

Pierre Conesa : Cette cellule, composée apparemment d’une douzaine de personnes, a été secrètement mise en place en 2003, à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Il faut bien comprendre que cet événement constitue un véritable traumatisme pour les Américains. Les Etats-Unis n’ont pas connu de guerre sur leur territoire depuis la guerre de Sécession (1861 – 1865). C’est une chose difficile à imaginer pour les Européens.

Après l’attaque du World Trade Center, le président George W. Bush a pris un certain nombre de dispositions liberticides (voir le Patriot Act). Au nom de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, quelques unes des libertés fondamentales si chères aux Américains ont été sacrifiées. Cette unité à New York incarnait la version policière du dispositif.

JOL Press : Quelle était la mission de cette cellule ?
 

Pierre Conesa : Des policiers infiltrés étaient chargés de surveiller la communauté musulmane, ses lieux de culte, ses restaurants hallal, ses librairies religieuses… Les agents documentaient tout ce qu’ils voyaient et entendaient. Concrètement, il s’agissait de repérer les endroits où pouvaient apparaître de nouveaux terroristes. Dans un communiqué, la police assure que l’unité était largement inactive depuis l’arrivée de la nouvelle équipe municipale en janvier.

JOL Press : Pourquoi annoncer sa fermeture aujourd’hui ?
 

Pierre Conesa : C’est une question de contexte. Barack Obama avait promis de fermer Guantanamo. Cela n’a pas été fait, et certains détenus sont prisonniers depuis plus de 10 ans sans avoir été jugés. La mission de John Kerry pour le processus de paix au Moyen-Orient est un bide complet. Sans parler du désordre laissé en Irak par George W. Bush.

Fermer cette unité ne coûte pas grand-chose et permet d’envoyer un signal positif à la communauté musulmane. De plus, les opérations de surveillance n’ont pas généré la moindre piste ou permis d’ouvrir la moindre enquête terroriste.

JOL Press : Les Etats-Unis sont-ils en train de tourner la page du 11 Septembre ?
 

Pierre Conesa : Non. Les Américains ne tourneront pas cette page, il s’agit d’un événement constitutif de leur histoire. Leur budget de défense représente la moitié des dépenses militaires mondiales. Le cinéma hollywoodien produit un nombre incroyable de films de guerre et de films catastrophe. Outre-Atlantique, il existe un véritable marché de l’angoisse.

Cela peut sembler paradoxal dans la mesure où les Etats-Unis sont le pays le mieux protégé au monde. Le bilan de la dernière attaque qu’ils ont subie sur leur territoire – 3 morts et 260 blessés lors du marathon de Boston en avril 2013 – n’est pas comparable avec les attentats de Londres en 2005 (56 morts, 700 blessés) ou de Madrid en 2004 (191 morts, 1 800 blessés).

Les Etats-Unis ont toujours eu besoin d’un ennemi. Les Mexicains, les Russes, les Colombiens et les Japonais ont tour à tour fait office de méchants. Aujourd’hui, ce sont les Arabes et les musulmans qui servent d’épouvantail.

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Pierre Conesa est agrégé d’histoire et a étudié à l’ENA. Il a été haut fonctionnaire au ministère de la Défense pendant une vingtaine d’années. Maître de conférences à Sciences Po, il écrit régulièrement dans le Monde diplomatique et diverses revues de relations internationales. Il est notamment l’auteur de Les Mécaniques du chaos – Bushisme, prolifération et terrorisme (L’Aube, 2007) ; La Fabrication de l’ennemi – Ou comment tuer avec sa conscience pour soi (Robert Laffont, 2011) ; Surtout ne rien décider – Manuel de survie en milieu politique (Robert Laffont, 2014).

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