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Nord du Mali: le retour des groupuscules et des actions terroristes

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(Crédit : Shutterstock)

JOL Press : Est-ce un hasard de calendrier si les jihadistes du Mujao ont annoncé la mort de Gilberto Rodriguez Leal quelques heures après la libération de quatre otages français en Syrie ?
 

Mathieu Guidère : Il faut faire la distinction entre deux aspects : le timing qui a été choisi par les ravisseurs eux-mêmes, et le timing de sortie médiatique de cette information. On sait que les groupes islamistes radicaux, en général, ont tendance à choisir des dates symboliques. Par exemple, la libération des otages français en Syrie s’est faite pour Pâques. C’est dans une logique religieuse que ces groupes jihadistes instrumentalisent ces dates, parce qu’ils estiment que les otages ont une identité religieuse, en l’occurrence chrétienne. Ils font donc un geste de libération pendant la fête des chrétiens.

C’est exactement cette même logique qui a amené le Mujao, qui détenait l’otage français Rodriguez Leal, à vouloir faire cette annonce également pour Pâques. Le porte-parole du groupe a appelé l’AFP la semaine dernière pour annoncer la mort de l’otage, mais cette information n’a pas été véritablement relayée par la presse. C’est ce qui a amené le président de la République lundi sur le tarmac, lorsqu’il a accueilli les otages syriens, à dire qu’il s’inquiétait énormément pour cet autre otage, étant donné qu’il n’avait plus de nouvelles de lui depuis un certain temps. Le timing médiatique a poussé le Mujao à réitérer son  annonce et à rappeler l’AFP pour annoncer la mort de l’otage français au Mali.

JOL Press : Pourquoi le Mujao s’en est-il pris à Gilberto Rodriguez Leal, simple touriste ?
 

Mathieu Guidère : Il faut rappeler les conditions d’enlèvement des différents otages à l’époque. Il n’y a pas eu uniquement l’enlèvement de cet otage-là, mais aussi celui de Philippe Verdon et Serge Lazarevic, quasiment en même temps. Le groupe terroriste, à l’époque, voulait attraper n’importe quel Français dans la région puisque l’intervention militaire française se préparait au Mali et que la France menaçait d’intervenir dans la région. Tous les groupes jihadistes et en particulier le Mujao se sont donc lancés à la recherche de Français et malheureusement, ils sont tombés sur Gilberto Rodriguez Leal. Il n’y a donc pas eu véritablement de ciblage de cette personne plutôt qu’une autre.

JOL Press : Comment s’organisent concrètement les négociations entre les autorités françaises et les groupes terroristes pour faire libérer des otages ?
 

Mathieu Guidère : La France a une longue expérience dans les négociations pour faire libérer des otages. Ce type de négociations, en règle générale, se déroule en trois temps : le premier temps, c’est l’identification des groupes ravisseurs, leur spécificité, leur organisation et l’environnement dans lequel ils évoluent.

Ensuite, il faut trouver un intermédiaire parce que le gouvernement ne négocie jamais directement avec ce type de groupe. Il y a en effet des lois antiterroristes qui ont été votées après le 11 septembre 2001 qui empêchent les gouvernements de discuter directement avec des terroristes. Le choix de l’intermédiaire et de l’interlocuteur est donc très important parce qu’il définit les canaux, les moyens et le succès ou l’échec des négociations.

La troisième étape porte sur la négociation des conditions de libération. En règle générale, la France demande des preuves de vie régulières et discute en même temps des conditions de libération réalisables ou non.

JOL Press : Le Mujao est un groupe terroriste relativement « jeune ». Comment s’est-il créé et quelle est sa spécificité ?
 

Mathieu Guidère : Le Mujao est un groupe dissident d’AQMI [Al-Qaïda au Maghreb islamique, ndlr] qui est apparu en novembre 2011 à la suite d’un différend entre le chef du groupe, Mohamed Ould Kheirou, et le chef d’AQMI, Abdelmalek Droukdel, sur l’application ou non de la charia au nord du Mali, et sur la nature de la gouvernance à appliquer dans cette région. Le groupe s’est formé avec un certain nombre de lieutenants ayant quitté AQMI et qui ont pris, par la suite, le contrôle du nord du Mali et fait de Gao leur quartier général.

JOL Press : Quelles ont été les conséquences de l’opération française Serval au Mali sur l’évolution de ce groupe terroriste ?
 

Mathieu Guidère : Le Mujao a subi de plein fouet l’intervention militaire française à partir de janvier 2013, qui a globalement décimé au moins la moitié de ses effectifs. Suite à cet affaiblissement, le chef du groupe a décidé de fusionner avec un autre groupe également frappé par l’intervention française, le groupe de Bokhtar Belmokhtar, « les signataires par le sang », et les deux ont formé il y a environ six mois un nouveau groupe important, Al-Mourabitoun.

C’est dans ce groupe qu’est aujourd’hui officiellement intégré le Mujao, qui n’existe donc plus comme tel. Ses chefs sont intégrés dans une nouvelle structure de commandement et ils se sont fait une spécialité dans les enlèvements d’otages occidentaux et dans les actions d’accrochage. Dernière action en date : ils ont enlevé des employés du CICR, le Comité International de la Croix Rouge, qui ont d’ailleurs été libérés la semaine dernière.

JOL Press : Quel est le poids du nouveau groupe Al-Mourabitoun par rapport à AQMI ?
 

Mathieu Guidère : Aujourd’hui, Al-Mourabitoun est beaucoup plus important et puissant qu’AQMI dans l’ensemble du Sahara. AQMI reste localisé au nord du Sahara puisqu’il a perdu son principal chef au Sahel, Abou Zeid, suite à l’intervention militaire française. Le groupe Al-Mourabitoun a ainsi récupéré la quasi-totalité des forces qui restaient dans cette région du Sahel.

JOL Press : Que fait aujourd’hui la France dans cette région pour tenter de limiter l’expansion terroriste ?
 

Mathieu Guidère : La France, toujours présente au Mali, continue ses actions militaires quotidiennement. Les forces spéciales sont toujours déployées dans la région et traquent les groupes jihadistes. Il y a aussi une présence française importante sur plusieurs aéroports de la région et la lutte continue contre l’ensemble des groupes terroristes. Elle a même étendu son rayon, puisqu’elle va maintenant jusqu’en République centrafricaine. On constate en effet une recrudescence des actions jihadistes et un retour de groupuscules dans le nord malien, qui a conduit à un redéploiement des forces françaises dans la région.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Mathieu Guidère est professeur d’islamologie et de géopolitique arabe à l’Université de Toulouse 2. Islamologue et agrégé d’arabe, il est spécialiste d’histoire immédiate du monde arabe et musulman. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur ces questions.

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