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Pourquoi de plus en plus de musulmanes portent le voile

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Le voile à l’usage des fidèles n’est mentionné qu’une seule fois dans le Coran  (Crédits: shutterstock.com)

Le voile n’est pas spécifiquement musulman : il l’est devenu. Presque absente du Coran, c’est une prescription construite progressivement, au terme d’une histoire dont l’épisode colonial est un chapitre majeur. Si le port du voile nous choque, c’est moins en raison de l’outrage fait aux femmes ou de l’entorse à la laïcité que parce qu’il bouleverse un ordre visuel fondé sur la transparence, et lui oppose un provocant plaidoyer pour l’opaque, le caché, le secret, l’obscur.

Et pour les musulmanes qui se voilent en Occident, n’est-ce pas un jeu de dupes, une impiété nichée au cœur d’une intention religieuse ? Car en montrant qu’elles se cachent, elles cachent en réalité qu’elles se montrent ? Scrutant tour à tour la lettre du Coran, le voyeurisme de l’art orientaliste, les dévoilements spectaculaires orchestrés en Turquie ou au Maghreb, Bruno Nassim Aboudrar délivre une lecture inédite des stratégies à l’œuvre derrière le voile.

Extraits de  Comment le voile est devenu musulman de Bruno-Nassim Aboudrar (Flammarion – mars 2014)

Nous sommes donc face à une forme de paradoxe. Le voile féminin touche au cœur de la religiosité chrétienne mais n’a pas connu de développement culturel notoire en Europe, hors du couvent. Il n’est, dans l’islam, pas religieux mais culturel, voire conjoncturel, et le Coran ni les hadiths n’y accordent une grande importance, mais son développement historique dans les sociétés et le droit musulmans est tel qu’il passe pour inhérent à la religion au point d’en apparaître comme l’emblème. Il semble donc tout aussi vain – et tout aussi intéressant – de prétendre faire surgir un islam sans voile d’un retour au texte originel, comme le proposent les nouvelles exégètes, que d’espérer rendre l’épître de saint Paul plus conforme à notre sensibilité contemporaine en corrigeant le grec de ses traducteurs.

[image:2,s]En revanche, on peut penser que, parmi les musulmanes voilées, celles qui le sont de leur propre volonté n’ont pas fait ce choix pour exprimer leur soumission aux hommes ni même leur adhésion pleine et entière à une religion qui inscrirait cette soumission dans ses principes les plus sacrés. Et de fait, contrairement à ce que l’on peut lire dans la Première Épître aux Corinthiens, où le voile est un signe de sujétion, le Coran n’en donne pas d’autre raison qu’une vague nécessité d’ordre public : « C’est pour elles le plus sûr moyen de se faire connaître et de ne pas être offensées. » La tradition juridique, d’autre part, qui ne fait jamais du voile une affaire religieuse à proprement parler, mais pour laquelle la source du droit est coranique, propose constamment une alternative à la justification du voile par les rapports entre les genres. Il s’agit alors pour les musulmanes de se distinguer, non pas des hommes par un signe de leur infériorité et de leur assujettissement, mais des autres femmes.

À vrai dire, les hadiths qui insistent sur cette nécessaire distinction la formulent pour les hommes : taille des moustaches, port de la barbe, interdiction d’une certaine teinture de tissu (le carthame, jaune) au seul motif que les infidèles en usent. Mais, comme le souligne un islamologue moderne, le voile est sollicité en tant qu’équivalent féminin de ces spécifications vestimentaires masculines : « On ne doit pas, en voyant une femme musulmane, pouvoir la confondre avec une mécréante. Nous pensons que l’application des conditions prescrites par la Loi, en particulier le port du voile sur la tête, permet d’aboutir à la différentiation recherchée. »

Tant que l’islam est resté confiné dans ses vastes domaines, avant que la colonisation européenne ne soumette politiquement les musulmans, avant que l’immigration économique ne les contraigne à vivre parmi les impies et les athées, avant que l’impérialisme américain ne leur impose la règle du jeu mondiale, le voile, commodité coranique dont le fiqh avait fait une loi, a servi d’instrument à la coercition des femmes. D’instrument, et non de symbole. La question de son caractère religieux ne se posait pas : tout le droit découle de la révélation, il n’en est pas moins civil.

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Bruno-Nassim Aboudrar est professeur d’esthétique à l’université Paris 3 – Sorbonne nouvelle, il est l’auteur de plusieurs essais, notamment Nous n’irons plus au musée (Aubier, 2000), ainsi que d’un roman : Ici-bas (Gallimard, 2009).

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