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Pourquoi le Nigeria est devenu la première économie d’Afrique

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JOL Press : Le Nigeria est devenu dimanche la première économie du continent africain, devant l’Afrique du Sud, suite à un changement de calcul statistique. Pourquoi le Nigeria n’avait-il pas changé de méthode de calcul de son PIB depuis les années 1990 ?
 

Alexandre Kateb : Ce genre de calcul mobilise des ressources humaines importantes et doit être conduit en concertation avec les grandes organisations internationales (FMI, Banque mondiale, Banque africaine du développement) ce qui explique en partie son caractère tardif dans le cas du Nigéria. De plus, contrairement à l’industrie et dans une moindre mesure à l’agriculture, il est plus difficile de mesurer la contribution des services à la valeur ajoutée. Or ce sont ces derniers qui ont été considérablement revalorisés en volume dans le PIB prévisionnel 2013, passant de 77 milliards USD à 264 milliards USD soit une hausse de près de 190 milliards USD. Il y a également eu une revalorisation de l’industrie manufacturière dont le poids passe de 2% à 7% du PIB, soit une multiplication par sept en volume compte tenu du doublement constaté du PIB ! 

JOL Press : Quels secteurs clé de l’économie nigériane lui ont permis de décoller ?
 

Alexandre Kateb : La révision du PIB montre une économie beaucoup plus diversifiée que ce qu’on pensait qui a été portée par le boom du secteur des services (commerce de gros et de détail, télécom, immobilier, secteur financier), un poids beaucoup moins écrasant du secteur des hydrocarbures, passant de 30% à 15% du PIB, et enfin une industrie manufacturière plus importante, notamment dans le secteur de l’agroalimentaire, même si des progrès importants restent à faire à ce niveau. 

JOL Press : Le Nigeria attire de plus en plus d’investisseurs étrangers. Qu’est-ce qui les pousse à investir au Nigeria ? Quels sont au contraire les principaux freins à ces investissements ?
 

Alexandre Kateb : En devenant en volume la plus importante économie d’Afrique, le Nigéria qui était déjà de loin le pays le plus peuplé du continent avec près de 170 million d’habitants sera maintenant dans le radar des investisseurs étrangers. Il devient la 26ème économie au monde et ambitionne de rejoindre le top 20 – ce qui le ferait rentrer au sein du G20 – avant la fin de cette décennie.

Parier sur le Nigéria c’est donc un moyen de parier sur le développement de l’Afrique qui constitue la dernière frontière de l’émergence. En outre, le pays possède des ressources naturelles et énergétiques qui devraient à priori soutenir son développement mais qui sont actuellement mal gérées du fait de la corruption endémique qui freine les progrès, comme l’a montré le récent scandale lié à un « trou » de près de 10 à 20 milliards de dollars de recettes pétrolières volatilisées dans la nature.  

JOL Press : À quels principaux défis économiques le Nigeria doit-il répondre dans la décennie qui arrive ?
 

Alexandre Kateb : Outre la corruption qui demeure endémique et les répercussions négatives sur l’économie du terrorisme et de la violence inter-confessionnelle sur l’activité économique dans certaines régions du pays, le Nigéria doit gérer un problème lancinant de chômage autour de 25%, mais sans doute beaucoup plus compte tenu du sous-emploi massif et de la prépondérance rurale avec 70% de la population active encore employée dans le secteur agricole, ce dernier ne générant que 20% du PIB avec la nouvelle base de calcul. Ce problème est explosif sur le plan politique et social pour les années à venir d’autant que la population totale devrait atteindre 250 millions d’habitants en 2030.  La création d’emplois est donc le principal défi des quinze à vingt prochaines années, à travers notamment une industrialisation beaucoup plus significative, et un développement de services modernes (éducation, santé, environnement, transports).   

JOL Press : L’Afrique du Sud doit-elle s’inquiéter du « boom » économique du Nigeria ?
 

Alexandre Kateb : L’Afrique du Sud voit son poids relatif baisser et elle pourra moins prétendre à occuper le devant de la scène et à représenter à elle seule le continent africain dans les instances internationales, notamment au G20. Néanmoins, les opérateurs économiques sud-africains sont beaucoup plus sophistiqués que leurs homologues nigérians. En outre, l’Afrique du Sud est la puissance dominante au sein de la SADC, une communauté économique qui regroupe 15 Etats avec une population totale de 230 millions d’habitants. Il ne faut donc pas lire les chiffres de manière « naïve » en comparant uniquement les statistiques nationales. Au final, tous les acteurs économiques profiteront de l’élargissement des marchés africains et de l’accroissement des échanges entre les différents pôles sous-régionaux. 

JOL Press : Quels autres pays africains s’imposent au sein des « pays émergents » ? Sont-ils encore loin de dépasser l’Afrique du Sud et le Nigeria ?
 

Alexandre Kateb : En volume, le Nigéria et l’Afrique du Sud sont incontestablement les deux grands poids lourds africains avec une capacité de rayonnement et d’influence inégalée en Afrique subsaharienne. Il faudra surveiller l’évolution de l’Ethiopie qui connaît une croissance à la chinoise depuis une quinzaine d’années. Au nord du Sahara, l’Egypte qui est la troisième économie africaine est tournée sur elle-même et doit faire face à des défis considérables sur le plan interne. Quant à l’Algérie c’est un pays avec des ressources humaines et matérielles significatives mais qui doit repenser de fond en comble son modèle économique pour émerger véritablement. Enfin, le Maroc qui pèse en volume beaucoup moins que ces pays aspire à jouer un rôle de « hub économique et financier » entre l’Europe et l’Afrique, avec un certain succès, mais qui devra aussi être matérialisé sur le plan du développement humain.  

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Alexandre Kateb dirige le cabinet de conseil et d’analyse économique, géopolitique et financière Competence Finance. Il est l’auteur d’un livre sur les grandes puissances émergentes : Les nouvelles puissances mondiales. Pourquoi les BRIC changent le monde, Ellipses, 2011. Il consacre à l’économie des pays émergents un enseignement à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.

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