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Pourquoi le Royaume-Uni s’accroche-t-il autant à Gibraltar ?

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JOL Press : Quelle est la situation géopolitique à Gibraltar ? Pourquoi ce tout petit territoire adossé à l’Espagne est-il encore sous souveraineté anglaise ?
 

Paul Tourret : C’est l’héritage de deux phénomènes historiques profonds. Du côté espagnol, ce sont les reliquats des « Presidio » espagnols établis au Maroc. Après la Reconquista, l’Espagne, comme le Portugal, ont eu cette tentation d’aller conquérir une partie de l’Afrique du Nord. Cette présence espagnole est évidemment contestée par le Maroc. De fait l’Espagne pourrait contester la souveraineté britannique  sur Gibraltar si elle-même n’avait pas des possessions similaires, via les Presidio, au Maroc.

L’autre phénomène est la constitution de l’Empire maritime britannique, avec plusieurs places en Méditerranée, dont Gibraltar, pris de force en 1704. La souveraineté anglaise sur cette petite enclave bien spécifique fut reconnue en 1713 par l’Espagne. Les Britanniques ont agi de même avec Corfou ou Malte.

Le problème historique est donc double : une contestation historique de l’Espagne, elle-même contestée par le Maroc. La Grande-Bretagne, elle, s’appuie sur trois siècles de souveraineté territoriale sur Gibraltar.

JOL Press : Géographiquement, la souveraineté espagnole semble la plus logique. Pourquoi le Royaume-Uni s’accroche-t-il autant à ce petit bout de rocher ?
 

Paul Tourret : Il n’existe pas de souveraineté naturelle sur un territoire. L’occupation de Gibraltar par les Anglais n’est pas plus fondée que celle sur les îles Anglo-normandes. Ces « aberrations » géopolitiques sont nombreuses.

La société de Gibraltar est très particulière. Faite de britannique, elle est aussi composée de migrants venus d’ici, de là, de Malte, et d’Espagne évidemment…

L’économie est également bien spécifique : elle est essentiellement maritime : réparation de navires et fourniture de pétrole (soutage). Gibraltar est un pavillon de complaisance, avec un système économique offshore avantageux.

JOL Press : Gibraltar est en effet une forme d’économie à part : le territoire est dans l’UE mais pas dans l’Espace Shengen, le taux d’imposition y est très faible, la TVA également… L’intérêt économique est-il le seul gage de l’attachement anglais ?
 

Paul Tourret : Le régime franquiste a toujours contesté l’occupation britannique de Gibraltar. D’où le développement du port voisin d’Algésiras… L’essor de ce dernier (usine sidérurgique, raffinerie…) suit d’ailleurs la courbe de celle de Gibraltar, de manière à maintenir une forme de symbiose économique entre les deux ports.

Au sein du Royaume-Uni se sont créés des particularismes, à savoir des territoires qui appartiennent à la couronne britannique tout en étant autonomes. A partir de là, leur autonomie fait donc qu’ils sont dotés de tous les instruments de la souveraineté, spécialement pour la fiscalité. Gibraltar est donc un paradis fiscal, comme peuvent l’être Jersey et Guernesey.

Gibraltar présente ainsi une accumulation de problématiques : possession à vocation militaire du territoire ; autonomie reconnue par le Royaume-Uni ; très forte indépendance fiscale et sociale. Il est une sorte d’épine dans le pied de l’Espagne.

JOL Press : La population de Gibraltar est-elle divisée entre garder la souveraineté anglaise ou récupérer celle de l’Espagne ?
 

Paul Tourret : Les 28 000 habitants forment un « melting-pot » culturel propre à la Méditerranée. Si la langue officielle est l’Anglais, l’Espagnol y est également très présent. Ce mélange a créé une sorte de sous-nationalité gibraltarienne qui échappe à une éventuelle dissension entre souveraineté anglaise ou espagnole.

JOL Press : Peut-on assister à un changement de souveraineté sur Gibraltar dans les années qui viennent ?
 

Paul Tourret : C’est peu probable. Ce genre de niches de souveraineté est très courant en Europe (Lichtenstein, Monaco, Andorre, Jersey et Guernesey..), mais également en dehors : la situation de la Crimée est d’ailleurs assez comparable. On crée, dans des zones frontalières, pour des raisons historiques complexes, des endroits qui finissent par avoir leur particularisme culturel, et qui survivent grâce à une économie offshore.

Le seul évènement qui pourrait vraiment survenir serait une indépendance réelle du territoire, à l’instar de Monaco ou San Marin. 

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Paul TOURRET est Directeur de l’Institut Supérieur d’Economie Maritime (ISEMAR), observatoire des industries maritimes localisé à Nantes Saint-Nazaire.

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