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Pourquoi le voile est facilement assimilé à un pilier de l’islam

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Le voile à l’usage des fidèles n’est mentionné qu’une seule fois dans le Coran  (Crédits: shutterstock.com)

Le voile n’est pas spécifiquement musulman : il l’est devenu. Presque absente du Coran, c’est une prescription construite progressivement, au terme d’une histoire dont l’épisode colonial est un chapitre majeur. Si le port du voile nous choque, c’est moins en raison de l’outrage fait aux femmes ou de l’entorse à la laïcité que parce qu’il bouleverse un ordre visuel fondé sur la transparence, et lui oppose un provocant plaidoyer pour l’opaque, le caché, le secret, l’obscur.

Et pour les musulmanes qui se voilent en Occident, n’est-ce pas un jeu de dupes, une impiété nichée au cœur d’une intention religieuse ? Car en montrant qu’elles se cachent, elles cachent en réalité qu’elles se montrent ? Scrutant tour à tour la lettre du Coran, le voyeurisme de l’art orientaliste, les dévoilements spectaculaires orchestrés en Turquie ou au Maghreb, Bruno Nassim Aboudrar délivre une lecture inédite des stratégies à l’œuvre derrière le voile.

Extraits de  Comment le voile est devenu musulman de Bruno-Nassim Aboudrar (Flammarion – mars 2014)

Il est certain que le voile musulman n’a qu’une place très mineure dans la révélation. Il se peut que Muhammad ne l’ait pas voulu et que les circonstances seules aient suggéré le verset qui en prescrit l’usage aux musulmanes. Il n’est guère douteux non plus que le fiqh soit une juridiction patriarcale tardive, parfois éloignée de l’esprit du Coran et partiale dans le choix de sa lettre. La nouvelle exégèse « féministe » musulmane serait entièrement convaincante si elle avait convaincu et que ses positions étaient aujourd’hui majoritaires. Mais le moins qu’on puisse dire est que ce n’est pas le cas. Le voile résiste dans l’islam contemporain avec le patriarcat, et même sans lui.

[image:2,s]D’un côté, comme le déplore dès 1987 Fatima Mernissi, la jurisprudence islamique médiévale la plus obscurantiste, la plus misogyne aussi, jouit d’une diffusion inégalée dans l’histoire, que lui assure l’édition à bon marché (et, depuis l’ouvrage de la sociologue, Internet). Elle cite les rééditions, à la fin du XXe siècle, de recueils de fiqh émanant de juristes médiévaux de l’école hambalite, contestés déjà de leur temps pour leurs positions ultras, tel Ibn Taymiyya, qui considère que même le visage doit être caché par le voile, ou Ibn Al-Jawzî, qui prône la claustration totale des femmes. Mais surtout, d’un autre côté, des femmes qui ne sont pas dans l’ère d’influence de ces extrémismes réactionnaires – notamment des musulmanes occidentales – considèrent le port du voile comme un signe distinctif nécessaire (et peut-être suffisant) de leur appartenance à l’islam.

Deux ouvrages consacrés, en France, à recueillir la parole de femmes et de jeunes filles voilées sont, à cet égard, riches d’enseignements. Celles-ci se montrent très disertes pour décrire le martyre soft qu’une société de moins en moins permissive leur inflige, et qu’elles subissent héroïquement au nom de ce « foulard » (1995) devenu « voile » (2008) : éviction de l’école, interdiction faite aux mères d’accompagner les sorties scolaires, insultes et vexations diverses au travail. Elles insistent aussi, le plus souvent, sur le fait qu’elles ont pris librement la décision de porter le voile.

Mais elles ne justifient jamais cette décision, sinon de manière très vague, par leur obédience religieuse. Par exemple, Farida, pour qui le voile est « un ordre de Dieu », l’assimile manifestement à un pilier de l’islam au même titre que la prière ou le pèlerinage à La Mecque, ce qu’il n’est en aucun cas. Plus récemment, Zahra : « J’ai commencé à porter le foulard en début de quatrième, à douze ans. Pourquoi ? C’est difficile à expliquer. D’abord par conviction religieuse. Je voulais pratiquer ma religion de A à Z et pas de manière sélective » ; ou encore Nadjia : « [Le foulard,] c’est l’aboutissement d’une recherche spirituelle à travers les différentes religions comme le bouddhisme, le christianisme, l’islam… et Dieu m’a montré la voie ».

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Bruno-Nassim Aboudrar est professeur d’esthétique à l’université Paris 3 – Sorbonne nouvelle, il est l’auteur de plusieurs essais, notamment Nous n’irons plus au musée (Aubier, 2000), ainsi que d’un roman : Ici-bas (Gallimard, 2009).

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