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Pourquoi les Verts ont refusé d’entrer au gouvernement de Manuel Valls

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La décision de la direction d’EELV de ne pas participer au gouvernement a fait réagir un grand nombre de commentateurs mais aussi au sein même de la famille écologiste. « C’est tout simplement une folie d’avoir refusé. On avait une chance historique d’avoir le ministère que les écologistes du monde entier rêveraient d’avoir et on la gâche », a expliqué François-Michel Lambert, députés EELV. « Je suis abasourdi par l’immaturité de mon propre parti. »

Karim Zéribi, eurodéputé EELV, n’a pas non plus compris le choix de son parti : c’est  « une erreur politique de ne pas piloter la transition énergétique mise en œuvre par le gouvernement de Manuel Valls ». Et Daniel Cohn-Bendit de lancer : « EELV fait une connerie en n’entrant pas au gouvernement. » Etait-ce effectivement une erreur ? Eléments de réponse avec Daniel Boy, politologue et co-auteur du livre « L’écologie au pouvoir » (Les Presses de Sciences Po – 1995). 

JOL Press : Comment expliquer le refus des Verts de participer au gouvernement de Manuel Valls ?

Daniel Boy : C’est avant tout un réflexe politique assez fort. Il suffit pour cela de lire la réaction l’interview au Monde de la secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), Emmanuelle Cosse. « Sa proposition était solide et correcte », explique-t-elle. « Il a fait la proposition que François Hollande ne nous a pas faite en 2012. Manuel Valls veut réussir comme premier ministre et il souhaitait que l’on entre dans ce gouvernement. (…) Mais on ne peut pas oublier les deux ans passés d’une expérience gouvernementale qui a eu des hauts et des bas. »

La question de l’écologie n’est pas prise en compte dans cette décision de ne pas participer au gouvernement de Manuel Valls. Les Verts soupçonnent le nouveau ministre de l’Intérieur de ne pas être décidé à soutenir des engagements de gauche. L’offre du point de vue de la transition énergétique était jugée correcte mais d’un point de vue politique, le nouveau gouvernement n’était pas assez à gauche pour EELV.

C’est le bureau exécutif qui a pris cette décision à sept voix contre, trois voix pour et cinq abstentions, selon plusieurs sources écologistes. Cette majorité n’est pas confortable et certains ont déjà fait entendre leur mécontentement, à l’instar de François de Rugy, co-président du groupe EELV à l’Assemblée nationale, qui regrette que « l’occasion n’ait pas été saisie ». C’est la ligne de Cécile Duflot qui a gagné malgré l’avis des parlementaires et cette décision va peut-être acter une fracture entre deux courant au sein du parti : celui de Cécile Duflot et d’Emmanuelle Cosse et celui des parlementaires dont Jean-Vincent Placé, président du groupe Europe Écologie-Les Verts au Sénat, Barbara Pompili, co-présidente du groupe EELV à l’Assemblée nationale et François de Rugy.

JOL Press : Mais ce ministère n’était-il pas celui que les Verts attendait depuis de nombreuses années ?

Daniel Boy : Si, bien sûr. Mais encore une fois cette décision est strictement politique. Cécile Duflot était mal à l’aise vis-à-vis de Manuel Valls et c’est son avis qui l’a remporté. Et comme Emmanuelle Cosse a été placée à la tête du parti par Cécile Duflot elle a emporté une partie du bureau exécutif sur cette décision.

JOL Press : Est-ce, selon vous, une bonne ou une mauvaise stratégie politique ?

Daniel Boy : Je ne crois pas que ce soit une bonne stratégie parce que cette décision renforce l’idée selon laquelle ce parti serait dominé par des enjeux gauche-droite plutôt que par des enjeux écologistes. Et si on se projette un peu dans l’avenir, vis-à-vis de leurs partenaires socialistes, pour de futures alliances, cette décision pèsera lourd. Pourquoi s’allier avec un partenaire qui, au moment même où on lui propose ce qu’il désirait, décide de partir ? Il s’agit, selon moi, d’une stratégie risquée.

JOL Press : Les Verts jouent-ils la carte d’une majorité à gauche ?

Daniel Boy : Certains d’entre eux jouent cette carte, on l’a vu à Grenoble : lors des municipales, l’alliance EELV-Front de Gauche d’Eric Piolle est arrivée en tête, surclassant la liste socialiste de Jérôme Safar. Les Verts sont souvent plus à gauche que le Parti socialiste, l’idée d’une alliance avec une autre gauche ne déplaît donc pas à un certain nombre d’entre eux. Le problème c’est que d’un point de vue de la constitution parlementaire, cette majorité à gauche n’existe pas. On imagine mal comment, à l’Assemblée, une autre majorité de gauche pourrait émerger aux côtés des socialistes.

JOL Press : Ne faut-il pas y voir une stratégie politique avant les européennes, afin de bien se démarquer d’une majorité très impopulaire ?

Daniel Boy : Oui, c’est possible que cette idée ait été prise en compte mais rien ne dit que les Verts tirent quelconque bénéfice électoral de leur décision. Ceux qui, aux européennes, votes sur des critères environnementaux, vont être frustrés parce qu’ils ont bien compris que les questions d’environnement n’étaient pas au cœur des débats internes et que la politique a davantage pesé dans la décision du bureau politique.

JOL Press : L’arrivée d’Emmanuelle Cosse y est-elle pour beaucoup dans cette décision ?

Daniel Boy : L’arrivée d’Emmanuelle Cosse n’a fait que maintenir le parti sur la ligne de Cécile Duflot. Malgré les divisions, je ne crois pas que l’avenir du parti soit compromis. Les partis ne sont pas que des idées, ce sont des structures. Et une bonne partie des militants va se réjouir de cette décision. On peut cependant s’attendre à du « Verts-bashing » dans les médias.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Daniel Boy est titulaire d’une licence en droit et diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris. Il est directeur de recherche (FNSP) au CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po, et enseignant au master de Sciences Po notamment en analyse quantitative des données. Ses recherches se sont développées dans trois domaines : la sociologie électorale, l’écologie politique en France et en Europe, les relations entre science, technique et société.

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