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Pourquoi Manuel Valls n’est pas véritablement social-démocrate

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« Assumons pleinement ce cap social-démocrate et réformiste. Assumons ce que nous sommes en train de faire. Assumons-le pleinement. Moi j’en suis fier », déclarait solennellement Manuel Valls en mai 2013, lors du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro. Mais Manuel Valls et François Hollande sont-ils à proprement parler, sociaux-démocrates ?

JOL Press : D’où vient historiquement le courant social-démocrate en Europe ?

Philippe Marlière : Historiquement, quand on parle de sociale-démocratie, on parle d’un courant réformiste de gauche qui fait le pari d’une économie mixte, c’est-à-dire qu’on accepte d’évoluer dans le cadre d’une économie de marché mais on se donne les moyens d’intervenir dans ce cadre économique posé et on utilise les leviers de l’Etat, de la puissance publique avec des relais auprès du monde du travail et des syndicats en particulier, pour amener les détenteurs du capital à faire des compromis qui soient les plus avantageux pour les salariés. C’est un système qui accepte le cadre capitaliste parce qu’il créé de la richesse et de la croissance, donne un certain niveau de vie à l’ensemble de la population. Mais il faut que tout cela soit bien régulé, la puissance publique a donc un rôle à jouer.

C’est une formule qui a surtout existé, de manière pure, dans les pays scandinaves et en Europe du Nord, en Belgique, en Allemagne, et en Grande-Bretagne, dans une moindre mesure jusqu’aux années 80. Un pays comme la Suède était le prototype du système social-démocrate : des politiques de relance était mises en place, l’Etat intervenait et on redistribuait les richesses.

Ce modèle n’a pas, à proprement parlé, existé en France et dans l’ensemble de l’Europe. Les partis sociaux-démocrates étaient traditionnellement des partis de masse avec des membres ouvriers qui avaient des liens, comme en Grande-Bretagne, avec les syndicats. En France, on ne fonctionne pas de la même manière. On a des partis socialistes qui sont plus petits et plus bourgeois dans leur composition et qui n’ont pas de vrais liens avec le mouvement ouvrier.  

JOL Press : Qu’est-ce donc aujourd’hui que la sociale-démocratie ?

Philippe Marlière : Je pense qu’aujourd’hui la sociale-démocratie n’existe plus, elle est morte. Comment l’expliquer ? Il y a eu une transformation très importante de la nature-même du capitalisme, à partir des années 80 : le capitalisme est passé assez vite d’un mode de production des richesses basé sur un capital industriel à un système financier. Un capital financier est un capital qui ne connaît plus les frontières, qui n’a plus de nationalité – on peut faire passer des fortunes financières de manière fictive d’un point à l’autre de la planète en deux clics de souris sur un ordinateur – les entreprises sont aux mains de multinationales qui ouvrent et ferment les entreprises, dans une logique de profits et de dividendes pour les actionnaire et plus du tout dans une logique de compromis avec les syndicats et les salariés.

Par ailleurs les gouvernements sociaux-démocrates quels qu’ils soient ont reconnu, depuis les années 80, que leur rôle premier n’est plus d’être des régulateurs de l’économie. Leur rôle est désormais uniquement un rôle de formateur pour éduquer les individus. C’est le marché qui choisit le niveau de la masse à employer. Les gouvernements sont là pour faciliter l’emploi et on voit bien que la politique de François Hollande fait cela : en baissant les charges qui pèsent sur les entreprises, il espère que les entreprises vont pouvoir embaucher davantage. Mais il ne s’agit pas là d’une politique sociale-démocrate qui gérait des entreprises nationalisées et qui avait un levier important par le biais des impôts. Entre un gouvernement conservateur de droite et un gouvernement social-démocrate, quelles sont les différences aujourd’hui sur le plan macro-économique ? Il faut regarder à la loupe.

JOL Press : Matteo Renzi, Martin Schulz et aujourd’hui Manuel Valls peuvent-ils parvenir à faire plier Angela Merkel ? Représentent-ils un front suffisamment solide au niveau européen ?

Philippe Marlière : Je n’y crois pas une seconde. Matteo Renzi, Martin Schulz et Manuel Valls sont les éléments les plus à droite de la sociale-démocratie actuelle en Europe. Pour mettre en place de vraies politiques sociales-démocrates il aurait fallu nommer ou élire d’autres personnes. François Hollande n’a pas été sanctionné vertement, à l’occasion des municipales, parce qu’il avait mal communiqué mais parce que les politiques d’austérité ne marchent pas et font souffrir les gens. Le chef de l’Etat aurait dû réorienter sa politique plus à gauche au lieu de nommer Manuel Valls à la tête du gouvernement.

Matteo Renzi et Manuel Valls, qui se réfèrent beaucoup à Tony Blair, incarnent la droite d’une social-démocratie qui est déjà devenue très à droite. C’est pour cette raison que je ne les crois pas capables de faire plier Angela Merkel, au contraire. Il n’y aura aucune épreuve de force avec Angela Merkel ni sur le plan européen, ni sur le plan national. On assiste à ce que Tony Blair avait théorisé dans les années 90 : nous avons un Etat relativement minimal, formateur et qui s’en remet aux entreprises  et au marché pour créer les richesses. Ce que François Hollande va faire en France – et qui existe dans les autres Etats européens – ce sera une continuation d’une politique de l’offre. Mais cette politique va à l’encontre de la politique sociale-démocrate : c’est un néo-libéralisme, tempéré socialement.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Marlière est titulaire d’un doctorat en sciences politiques et sociales de l’Institut universitaire de Florence. Professeur de sciences politiques à l’University College de Londres, ses recherches portent sur le Front de gauche et la social-démocratie européenne. Il est notamment auteur de La social-démocratie domestiquée : La voie blairiste (Aden Editions – novembre 2008).  Il tient également un blog sur Mediapart.

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