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Pourrait-on mettre en place en France un salaire inférieur au Smic?

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Pierre Gattaz « entend ressusciter un SMIC jeunes » (Crédits : shutterstock.com)

« Le niveau élevé du Smic est une marche d’escalier à franchir en France » pour trouver du travail, a affirmé Pierre Gattaz lors de son point de presse mensuel. D’où l’idée qu’un « jeune ou quelqu’un qui ne trouve pas de travail » puisse « rentrer dans l’entreprise de façon transitoire avec un salaire adapté, qui ne serait pas forcément le salaire du Smic » durant la première année. Si Manuel Valls a assuré que le plan d’économies du gouvernement n’entraînerait pas de remise en cause du Smic, la proposition du président du Medef vaut la peine qu’on s’y arrête un instant.

JOL Press : L’idée d’un SMIC intermédiaire n’est pas nouvelle. En quoi consiste-t-elle concrètement ?

Yannick L’Horty : Pierre Gattaz n’a pas du tout été dans le détail de sa proposition. Il a plutôt évoqué un principe qui permettrait de déroger, de façon transitoire, à la règle du salaire minimum pour l’embauche d’une certaine catégorie de main d’œuvre et les jeunes en particuliers. Il faut souligner qu’il existe déjà des dispositifs qui vont dans ce sens, en France.

Je pense à l’apprentissage, par exemple, les contrats d’alternance peuvent être rémunérés en dessous du salaire minimum. Nous avons aussi beaucoup de dispositifs dans lesquels le coût du travail est inférieur à celui du salaire minimum. C’est le cas des exonérations générales de cotisations sociales qui réduisent le coût du travail de façon ciblée sur le salaire minimum mais c’est aussi le cas de beaucoup de contrats aidés comme les emplois d’avenir qui conduisent à des niveaux de coût du travail inférieurs à ceux d’un salaire minimum chargé.

JOL Press : Cette proposition a-t-elle déjà été expérimentée à l’étranger ?

Yannick L’Horty : En Allemagne, il y a eu, dans le cadre de la réforme Hartz IV, quatrième étape de la réforme du marché du travail menée en Allemagne par le gouvernement de Gerhard Schröder de 2003 à 2005, la mise en place de « mini-jobs » qui étaient rémunéré à un niveau salarial inférieur au minima de branche – il n’y a pas de salaire minimum interprofessionnel en Allemagne.

Il existe aussi, dans d’autres pays, des mesures qui permettent à la main d’œuvre de moins de 20 ans d’accéder à l’emploi grâce à des niveaux de rémunération qui sont plus faibles que le salaire minimum interprofessionnel.

JOL Press : Est-il prouvé que ces dispositifs permettaient de lutter efficacement contre le chômage ?

Yannick L’Horty : Il y a une littérature internationale qui essaye d’évaluer les effets de ce type de mesures et les résultats sont, on peut le dire, contrastés. Certains éléments vont plutôt dans le sens d’un effet favorable pour l’emploi et d’autres vont plutôt dans un sens opposé. Les résultats sont assez contrastés. Cette question soulève des débats économiques mondiaux et on peut dire que la réponse n’est pas évidente. Toutes les évaluations sur les exonérations générales de cotisations sociales ont montré que ces exonérations produisaient un effet positif sur l’emploi. Maintenant on peut discuter de l’ampleur de cet effet mais le fait de réduire le coût du travail a un effet positif sur l’emploi, c’est certain.

La question est de savoir si cette réduction du coût du travail doit se faire en baissant le salaire minimum ou en baissant les cotisations sociales. En France, on privilégie davantage la baisse des cotisations sociales plutôt que la baisse des salaires car on est très attaché au salaire minimum interprofessionnel qui a une place symbolique extrêmement forte. Remettre en question ce symbole provoque en général des réactions du corps social relativement épidermiques.

JOL Press : Une telle proposition pourrait-elle voir le jour en France ou bien la résistance serait trop violente ?

Yannick L’Horty : Il y a déjà eu des précédents. Le contrat d’insertion professionnelle (CIP) était un type de contrat de travail à durée déterminée pour les moins de 26 ans rémunéré à 80 % du SMIC et mis en place par le gouvernement Balladur en 1993-1994 pour favoriser l’insertion professionnelles des jeunes et lutter contre le chômage. Mais face à l’ampleur de la mobilisation qu’avait suscitée cette mesure, Édouard Balladur avait dû retirer définitivement le CIP. On se souvient aussi du contrat première embauche (CPE) que Dominique de Villepin avait dû retirer, en 2006, à cause de l’opposition d’un grand nombre d’étudiants et de lycéens, mais aussi de syndicats de salariés et de partis politiques de gauche.

A chaque fois, ces projets de contournement explicites du salaire minimum ont provoqué des mouvements sociaux de grande ampleur, on a donc fait le choix d’autres dispositifs de contournement du salaire minimum qui n’ont pas les mêmes conséquences sur le pouvoir d’achat des salariés directement concernés. Quand on réduits les cotisations sociales employeur, on réduit le coût du travail sans réduire le salaire net des salariés.

JOL Press : La France fait-elle exception dans ce domaine ?

Yannick L’Horty : La France est exceptionnelle parce qu’elle a à la fois un salaire minimum élevé et des prélèvements sociaux importants. Nos prélèvements sociaux sont globalement plus importants que ceux des autres pays et la structure de notre taux de prélèvements obligatoires donne plus de place aux prélèvements sociaux et moins place aux prélèvements fiscaux. Notre coût du travail au niveau du salaire minimum est l’un des plus élevé et notre système est plus compliqué qu’ailleurs.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Yannick L’Horty est professeur d’économie à l’Université Paris-Est Marne-la- Vallée. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Économie de l’emploi et du chômage (Armand Colin – novembre 2013), Croissance, emploi et développement (La Découverte – avril 2013) ou encore Les nouvelles politiques de l’emploi (La Découverte – juin 2006). 

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