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Programme de stabilité: le plan d’économies sera-t-il suffisant?

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Le ministre des Finances, Michel Sapin, et le secrétaire d’Etat au Budget, Christian Eckert, ont présenté, mercredi 23 avril, leur « programme de stabilité ». Objectif : ramener le déficit de la France, aujourd’hui de 4,3 %, sous la barre des 3 % d’ici à 2015, ainsi que l’exige la Commission européenne. Pour cela, Bercy mise sur les 50 milliards d’euros d’économies, réparties entre l’Etat, les collectivités locales et la Sécurité sociale.

Selon la droite, les économies proposées par le gouvernement sont insuffisantes – l’UDI préconise 80 milliards d’euros ; de leurs côtés plusieurs députés PS plaident pour des économies moins drastiques, à hauteur de 35 milliards d’euros seulement, afin d’épargner les ménages les plus modestes ou les petites retraites. Sommes-nous, pour autant, entrés dans une période d’austérité ? Pas vraiment, selon Philippe Waechter, chef économiste de Natixis Asset Management.

JOL Press : Quelles sont les caractéristiques d’une politique d’austérité ?

Philippe Waechter : Mettre en place une politique d’austérité, c’est changer les règles. Une politique d’austérité est mise en place par des Etats qui souhaitent un rééquilibrage des comptes publics, rééquilibrage qui s’opère le plus souvent quand tout va mal. Il est arrivé que des Etats se lancent dans des politiques d’austérité dans le cadre d’économies florissantes mais c’est très rare. Bill Clinton l’avait fait, à la fin des années 90 : alors que la croissance était très forte, il avait mis en place une stratégie visant à réduire la dette publique américaine et cela avait plutôt bien fonctionné puisque le solde budgétaire avait été excédentaire, c’est-à-dire que les ressources étaient supérieures aux dépenses, et la dette avait baissé.

Dans une phase d’expansion, une politique d’austérité n’est pas douloureuse. En France, on aurait pu avoir ce type de stratégie, à la fin des années 80 ou à la fin des années 90, quand la croissance était forte. Etaient apparues ce qu’on a appelé à l’époque des cagnottes, ces cagnottes, qui représentaient des recettes supplémentaires à cause d’une croissance plus forte qu’attendue , ont permis de dépenser plus mais n’ont pas été utilisées pour réduire les déficits et rééquilibrer les dépenses publiques.

Aujourd’hui, les politiques d’austérité sont menées essentiellement dans des économies qui ne vont pas bien et entraînent automatiquement des contraintes. C’est la grande difficulté des politiques d’austérité. Elles ont été mises en place en Europe parce qu’on est entré dans une situation où le secteur privé ne veut plus dépenser et où, par la mise en place d’objectifs ambitieux sur les finances publiques, les gouvernements ont soit réduit leurs dépenses, soit augmenté la fiscalité. Cette situation a accentué la fragilité du secteur privé dans la consommation ou dans l’investissement. En Italie, en Espagne ou au Portugal, ces politiques ont eu des impacts extrêmement forts sur le niveau de l’activité et sur l’emploi et les économies ont chuté encore un peu plus.

JOL Press : La politique économique présentée par Michel Sapin est-elle assimilable à de l’austérité ?

Philippe Waechter : Non, ce n’est pas de l’austérité. On a une problématique en France qui traduit bien cette situation compliquée dans laquelle on se situe : le revenu par tête (le revenu national brut pour une année, divisé par le nombre total d’habitants) n’augmente pas. C’est l’une des caractéristiques de la période actuelle, contrairement à ce que l’on avait pu observer à d’autres moments dans le passé. Comme le revenu par tête n’augmente pas, il va y avoir forcément des perdants.

Si on prend les mesures d’austérité, à l’aune de ce qui a été fait en Espagne ou en Italie, on n’y est pas du tout. Nous sommes dans une phase où nous sommes contraints car nous devons stabiliser les prestations sociales, par exemple, mais nous n’avons pas eu, comme cela a été fait en Grèce ou en Espagne, des réductions du salaire des fonctionnaires ou des prestations sociales. Aujourd’hui nous sommes uniquement dans le rabotage. Cette situation pose, malgré tout, la question des réformes structurelles : comment faire en sorte que ce rabotage ait un effet durable.

JOL Press : La France vit-elle au-dessus de ses moyens ?

Philippe Waechter : Je ne vois pas bien ce que cela veut dire « vivre au-dessus de ses moyens »…  La problématique à laquelle on est confronté c’est que le modèle économique dans lequel on a évolué depuis 50 ans est probablement dans une phase de changement. On a vécu pendant longtemps dans la dynamique des années 60 et aujourd’hui l’environnement, la concurrence et un certain nombre d’autres facteurs font en sorte que ce modèle n’est plus viable. Il faut réfléchir différemment pour que chacun arrive à sauvegarder sa propre situation. La situation va devoir, dans tous les cas, évoluer de façon spectaculaire dans les années qui viennent et plus on retarde les échéances, plus le moment de changer les choses sera brutal.

Je ne crois pas que la France vive au-dessus de ses moyens, ce n’est pas la question. La vraie question est de savoir comment elle va faire pour s’adapter à un monde qui change très vite, à toute une série de chocs technologiques pour que les salariés français soient prêts à relever les défis auxquels ils auront à faire face. On n’est pas dans cette philosophie-là. Tout le monde est assez conservateur sur ces questions et finalement, en tirant sur la corde, le système continue de fonctionner, sans que cela génère de rupture dramatique.

JOL Press : La France ne va-t-elle pas être contrainte, à terme, à mettre en place des mesures plus drastiques comme en Espagne ou en Italie ?

Philippe Waechter : Est-ce que durablement, en tendance, on aura une croissance supérieure à 1% ? Si ce n’est pas le cas, on ne créera pas beaucoup d’emploi et on n’arrivera pas à financer le modèle social. Il faudra alors faire les choses autrement et certainement modifier en profondeur le système. Faudra-t-il faire des coupes brutales sur les revenus ou les prestations sociales comme en Espagne ou en Italie ? Tout dépendra de notre capacité à nous réformer. En Espagne et en Italie, la situation était beaucoup plus dramatique. La France n’est pas dans cette urgence mais il n’empêche qu’il faut remodeler l’économie française pour qu’elle soit capable d’être un peu plus autonome dans son processus de croissance et qu’elle soit capable de générer des emplois, ce qu’elle ne sait pas faire aujourd’hui.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Philippe Waechter est chef économiste de Natixis Asset Management. Il a été professeur associé à l’Université d’Evry en 2003 et est actuellement chargé de cours à l’ENS Cachan. En 2008, en collaboration avec Martial You, il a publié Subprimes, la faillite mondiale aux Editions Alphée.

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