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Quête de l’homme providentiel: les Français encore bonapartistes?

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JOL Press : En quoi consiste le bonapartisme, en tant que vision politique ?
 

Christian Delporte : René Rémond, dans son livre sur les droites en France, décrit trois types de droite : légitimiste, orléaniste et bonapartiste. C’est une droite qui met en avant la personne du souverain, une forme autoritaire d’exercice du pouvoir. C’est un courant qui bouscule les hiérarchies naturelles et fait la part belle à la méritocratie. C’est surtout un rapport très étroit entre le chef et les masses populaires.

Par ailleurs, le bonapartisme véhicule un imaginaire sur la mission et la grandeur de la France. Mais cet imaginaire n’est pas propre au bonapartisme, puisque  l’idée de la France en tant que modèle exportable existait déjà avec la Révolution. Le bonapartisme n’est pas, en effet, du « napoléonisme », en ce qu’il s’inscrit encore dans la Révolution française.

JOL Press : René Rémond rangeait automatiquement le bonapartisme dans une case politique de droite. Pourtant, aujourd’hui, des hommes politiques de gauche (Chevènement, Valls) sont associés au bonapartisme, que ce soit par les médias ou parce qu’eux-mêmes se l’approprient…
 

Christan Delporte : Je pense surtout qu’on confond bonapartisme, souverainisme et gaullisme. C’est d’ailleurs souvent en se situant par rapport à De Gaulle, lui-même héritier du bonapartisme, qu’on en vient à se réclamer de Bonaparte !

Dans le cas de Jean-Pierre Chevènement,  je parlerais plutôt de jacobinisme, dans la manière d’affirmer la souveraineté nationale, la vocation de l’État à transformer la société, la centralisation administrative et gouvernementale, ou encore l’importance de la législation. Cet héritage jacobin montre qu’on peut être patriote sans forcément être bonapartiste.

JOL Press : L’émergence de Bonaparte s’est tenue dans des circonstances particulières : la sortie de la Révolution, marquée par la Terreur, était un terreau favorable à l’émergence d’un homme à poigne. Au vu de la vie politique actuelle, pourrait-on voir une résurgence du bonapartisme ?
 

Christian Delporte : Tout dépend de ce qu’on l’on entend par résurgence. Bonaparte est présenté comme l’homme qui a sauvé la Révolution, l’homme providentiel. Que l’on croit toujours, aujourd’hui, à l’homme providentiel est évident. On y croit d’ailleurs d’autant plus quand le pouvoir est faible. En revanche, que cet homme providentiel puisse aujourd’hui être un général me parait impossible !

On sent d’ailleurs dans ce pays un besoin de souveraineté, une méfiance à l’égard de l’Europe, la quête d’un État fort… Cet imaginaire renvoie donc logiquement au bonapartisme.

JOL Press : La droite politique française comprend-elle des figures qui incarnent cette posture ?
 

Christian Delporte : On l’a dit de Nicolas Sarkozy (Alain Duhamel a même écrit un livre bâti sur cette comparaison). Dès qu’il y a un homme fort et autoritaire, on le rapproche du bonapartisme. Mais le bonapartisme n’est pas réductible à l’autorité d’un homme. Nicolas Sarkozy, tout comme Manuel Valls, n’ont rien de souverainistes !

JOL Press : Bonaparte, De Gaulle, Mitterrand… Pourquoi ces références continuelles aux courants ou hommes politiques du passé ?
 

Christian Delporte : La vie politique est l’héritage de l’Histoire. L’Histoire politique de notre pays a été structurée par la Révolution. Les notions même de droite et de gauche naissent à cette occasion. Nécessairement, on se réfère donc à un courant. La pérennité des familles politiques, quoiqu’elles aient tendance à se transformer, est encore très forte : si la droite légitimiste et contre-révolutionnaire a disparu, la droite nationaliste et xénophobe du 19ème siècle existe encore aujourd’hui, sous la forme du Front national. La droite orléaniste se retrouve au centre et dans une partie de l’UMP. Enfin, les bonapartistes sont plutôt regroupés dans la frange UMP d’Henri Guaino.

Des moments de l’Histoire sont si importants dans la transformation du pays que l’on s’y rapporte par référence. A chaque fois que l’Histoire a clivé les courants, les familles politiques se sont forgé un itinéraire. La référence à l’Histoire politique est donc tout à fait normale. On la retrouve d’ailleurs dans bien d’autres pays que la France.

Pour savoir ce que l’on est, on doit savoir d’où l’on vient, et ce que les autres ont fait avant nous.

Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press

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Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Spécialiste de l’histoire des médias et de la communication politique, il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels La France dans les yeux (Flammarion, 2007), Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009) et Come back (Flammarion, 2014).

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