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Recensement en Birmanie: les Rohingyas, citoyens de second rang

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JOL Press : Fin mars, des ONG humanitaires ont fait l’objet d’attaques de bouddhistes dans l’ouest du pays. Pourquoi s’en sont-ils pris aux travailleurs humanitaires ?
 

Célestine Foucher : Selon eux, les ONG humanitaires étaient biaisées dans l’aide qu’elles apportaient aux populations, parce qu’elles apportaient davantage d’aide aux Rohingyas [minorité musulmane]. Sauf que les 150 000 réfugiés dans les camps en Birmanie sont essentiellement des Rohingyas et non des Arakanais bouddhistes [issus de l’Etat d’Arakan]… Les violences ont également eu lieu quelques jours avant que le recensement de la population commence, et après que le moine extrémiste bouddhiste U Wirathu a prêché des discours de haine pour inciter à la violence.

JOL Press : Un recensement est en cours en Birmanie, le premier depuis trente ans. Pourquoi n’y en a-t-il pas eu avant ?
 

Célestine Foucher : Dans le contexte de la junte militaire, il n’y avait aucun intérêt à faire ce recensement. Le manque de moyens a également repoussé cette initiative. Il a été critiqué avant qu’il ne soit mis en place par un certain nombre d’organisations qui craignaient qu’il y ait un regain de violences et que le recensement ne soit pas impartial, parce qu’il y a un certain nombre de régions, comme l’Etat de Kachin, où l’Armée d’indépendance kachin contrôle l’État. L’accès à ces régions est donc très limité.

Plusieurs organisations communautaires avaient également peur des discriminations exprimées à leur égard, elles avaient fait part de leur préoccupations en amont et ces préoccupations se sont avérées vraies. Depuis le début du recensement il y a en effet eu de nouvelles violences dans l’Arakan et une petite fille a été tuée par une balle perdue de l’armée qui essayait de maintenir l’ordre. Des milliers de réfugiés n’ont désormais aucun accès à l’eau, à l’alimentation et aux centres de santé et vivent dans des conditions déplorables dans ces camps. C’est vraiment préoccupant.

JOL Press : Parmi les 135 groupes ethniques reconnus en Birmanie, les Rohingyas, musulmans, ne figurent pas dans la liste. Quel est leur statut aujourd’hui ?
 

Célestine Foucher : Ils sont considérés comme apatrides. Ils ont une carte de résidence temporaire, ils ne sont donc pas considérés comme des citoyens et n’ont pas de papiers d’identité en règle. La loi de 1982 sur la citoyenneté leur empêche d’être citoyens. Pour l’instant, elle n’a toujours pas été amendée alors que c’est ce que demandent un certain nombre d’organisations. Il y a énormément de pressions de la part des groupes extrémistes bouddhistes, liées à des actions du gouvernement militaire qui profite vraiment de ces violences en vue de l’élection 2015. Les tensions religieuses sont clairement instrumentalisées par le gouvernement afin de « diviser pour mieux régner ». C’est dans son intérêt et c’est bien pour cela qu’il n’agit pas pour y mettre un terme.

JOL Press : Comment les différentes minorités en Birmanie sont-elles représentées politiquement ?
 

Célestine Foucher : C’est très compliqué pour les petits partis de s’enregistrer comme tels au moment des élections. Il y a quelques groupes politiques issus des minorités qui sont représentés au Parlement, mais leur place est mineure par rapport au nombre de minorités présentes sur le sol birman. Sur 431 députés à l’Assemblée, 43 parlementaires sont issus des minorités ethniques, soit 10% des parlementaires. Sachant qu’il y a 8% pour le parti d’Aung San Suu Kyi, 50% pour des partis issus de la junte et 25% de membres de l’armée, alors que les minorités ethniques représentent presque 60% de la population…

JOL Press : Que reprochent les bouddhistes aux Rohingyas ?
 

Célestine Foucher : Ils leur reprochent d’exister et d’être musulmans. Un vrai travail de sensibilisation et d’information des populations locales est nécessaire, notamment parce que les moines bouddhistes extrémistes, qui prononcent des discours de haine, sont très influents dans le pays. Ce sont eux qui pendant des années ont éduqué les enfants, ont aidé au niveau de la santé, ont réglé les conflits dans les villages… Ils ont fait le travail d’un gouvernement démocratique responsable que la junte militaire n’a évidemment pas fait. Ils ont donc un très fort impact sur la population, et leurs discours aussi. Ils sont très suivis par la population chez qui la peur absurde de l’étranger s’est installée. Nombreux sont ceux qui disent vouloir « tuer les musulmans avant qu’ils ne les tuent tous ».

Quelques activistes ou initiatives locales essaient néanmoins d’aller dans les villages pour sensibiliser les populations. Nay Phone Latt, un blogueur assez connu qui a été emprisonné pendant une dizaine d’années et tient désormais une association qui forme des jeunes blogueurs à l’activisme et au journalisme citoyen, a récemment lancé une nouvelle initiative sur Internet. Sa campagne « flower speech » vise à lutter contre les discours de haine proférés par certains moines bouddhistes ou ministres du gouvernement envers les Rohingyas. Ils distribuent des tracts dans la rue, créent des chansons pour sensibiliser à la tolérance religieuse etc.

Malheureusement ces initiatives ne sont pas assez nombreuses et certaines populations reculées, qui n’ont pas accès à Internet et donc à ces vidéos et messages de sensibilisation, n’entendent que les discours des moines. Il y a également toujours eu en Birmanie un fort sentiment national associé à la religion. Une campagne baptisée « 969 » avait notamment été lancée à Rangoun, ciblant directement les commerçants musulmans et appelant au boycott des entreprises musulmanes. Le commerces tenus par des bouddhistes collaient sur leur vitrine un autocollant portant le nombre 969 [qui fait référence aux préceptes bouddhistes].

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Célestine Foucher est coordinatrice de l’Association Info Birmanie.

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