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Retard dans la construction des stades: le Brésil a-t-il visé trop haut?

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JOL Press : La fin des travaux du stade Arena Corinthians envisagée pour le 15 avril, n’a pas eu lieu. Pourquoi les travaux des stades accusent-ils autant de retard ?
 

Stéphane Monclaire : On peut voir deux raisons à cela. La première, c’est que le Brésil n’est pas un pays où être à l’heure est une qualité essentielle… Il n’y a pas que la construction des stades qui a du retard : cela touche l’ensemble des politiques publiques. Cela tient à la division du travail et à des problèmes de productivité. C’est un problème qui n’est pas conjoncturel, mais un élément important de la réalité économique brésilienne.

Par ailleurs, ces retards, qui touchent aujourd’hui les stades mais surtout les infrastructures adjacentes aux stades – celles dites de mobilité urbaine – mettent en jeu des capitaux publics. Or le Brésil, qui n’est pas le pays le plus corrompu du monde, est tout de même beaucoup touché par la corruption. Lors des appels d’offres pour la construction des stades, il n’est alors pas rare que l’entreprise qui gagne le marché s’arrange pour provoquer un retard des travaux.

Cela entraîne un retard des appels d’offre suivants – car tous les appels d’offre ne sont pas faits au même moment. Quand il n’y a plus le temps matériel d’organiser de nouveaux appels d’offre, le comité organisateur local décide alors de recruter directement une entreprise « amie », qui va surfacturer et reverser une partie de la surfacturation au comité qui l’aura choisie. Ce système-là de détournement de fonds publics est bien connu au Brésil, notamment pour financer certaines campagnes électorales.

JOL Press : Comment réagissent les autorités brésiliennes et notamment la présidente Dilma Rousseff face à ces retards dans l’avancement des travaux ?
 

Stéphane Monclaire : On a tendance à imputer à la présidence de la République tous les tracas du pays. Sur une question aussi sensible sur le plan culturel et dans la mentalité des Brésiliens que la Coupe du Monde – le football est une passion au Brésil –, la présidente Dilma Rousseff savait d’avance que le sujet était extrêmement sensible et qu’il convenait d’éviter ces retards et ces problème de corruption. Depuis qu’elle est présidente, elle a donc mis en place un comité d’accompagnement de la préparation de la Coupe du monde, et il y a un suivi constant pour essayer que les choses se passent le mieux possible, qu’il y ait le moins de dérapages et que les travaux soient fait. Malgré les sérieux retards, les stades devraient ainsi être livrés à l’heure pour la Coupe.

Le gouvernement doit néanmoins faire face à d’autres difficultés. Il doit notamment lutter contre une impression qui se diffuse largement au sein de la population brésilienne, à savoir que les bienfaits de cette Coupe du monde s’avèrent de moins en moins nombreux, et que cette Coupe serait finalement plus une source de problèmes que d’avantages.

Cette opinion est croissante au Brésil : un sondage récent révèle que pour 55% des Brésiliens, la Coupe du monde générera plus de problèmes pour la population, alors qu’ils ne sont que 36% à considérer que la Coupe du monde – pas seulement les matchs de football, mais surtout la construction des stades et des infrastructures adjacentes (tramways, prolongements de métros, voies d’accès rapides aux stades…) – permettra des améliorations économiques et sociales.

JOL Press : D’où vient ce pessimisme ambiant autour de cet évènement sportif ?
 

Stéphane Monclaire : Il ne vient pas seulement du retard des travaux. Il vient aussi du coût de ces travaux. Les coûts sont plus élevés, à cause de la surfacturation mais aussi parce que les partenaires privés qui devaient participer au financement des stades ont beaucoup moins investi. Ils représentaient un gros apport au début, mais au fil des années et de ces derniers mois, ils ont mis beaucoup moins sur la table. De sorte qu’il revient à l’État et à la puissance publique de compenser cette absence de partenaires privés. Pour les contribuables, le coût de la Coupe du monde s’avère ainsi beaucoup plus élevé que prévu.

Certains disent pourtant que la Coupe du monde au Brésil n’a pas coûté si cher. En fait, depuis plusieurs mois, la monnaie brésilienne a perdu de sa valeur par rapport au dollar et à l’euro. De sorte que lorsqu’on transforme le montant des dépenses brésiliennes en euros ou en dollars, cela fait « baisser » la facture… Mais on est là victime d’un biais qui est celui de la variation importante du taux de change entre le real [la monnaie brésilienne, ndlr] et les grandes devises internationales.

Pour calculer le coût de la Coupe du monde, il faut surtout regarder le coût des stades en fonction des places qu’ils contiennent. Selon les pays organisateurs, le nombre de places assises dans les stades est assez variable. La Coupe du monde du Brésil a coûté 10% de plus, quand on se base sur le nombre de sièges dans les stades, que la Coupe du monde en Afrique du Sud par exemple. En plus, le Brésil, contrairement à l’Afrique du Sud, n’a pas construit tous ses stades mais en a réformé plusieurs, ce qui aurait dû revenir moins cher. Cette Coupe du monde, malgré le coût moins élevé de la main d’œuvre et des matières premières, coûte tout de même 40% de plus qu’en Allemagne il y a 8 ans !

JOL Press : Rio accueillera également les Jeux olympiques en 2016. Or plusieurs fédérations sportives internationales ont déjà fait part de leurs préoccupations, là aussi à cause des retards des travaux… Le Brésil avait-il les moyens d’organiser deux évènements internationaux de cette envergure ?
 

Stéphane Monclaire : Lorsque le Brésil a été candidat, aussi bien pour la Coupe du monde que pour les Jeux olympiques de 2016, il connaissait à cette époque un taux de croissance qui montrait le dynamisme de son économie. Les décideurs politiques imaginaient alors que cette croissance allait être de 4 ou 5% par an dans les années qui suivaient. Puis est arrivée la crise financière que l’on connaît à la fin de la décennie 2000, une crise qui continue malgré une tendance timide à la reprise mondiale. De sorte que le dynamisme de l’activité économique brésilienne s’est fortement réduit. Cela a restreint les recettes de l’État et rendu plus douloureux le financement de grands évènements sportifs, surtout lorsque les partenaires privés se retirent…

La presse brésilienne a ainsi tiré à boulets rouges sur les dépenses allouées à ces évènements sportifs, présentant les choses de manière un peu ambigüe en disant qu’avec tout cet argent dépensé pour des choses « futiles », on aurait pu construire des hôpitaux, des écoles etc. Il faut cependant bien rappeler que l’argent qui sert à ces évènements ne lest pas au détriment dautre chose : on confond en effet l’origine des sommes pour construire des stades et celle pour construire des hôpitaux ou des écoles.

Le Brésil est un pays fédéral, de sorte que selon l’équipement public que vous construisez, les financements ne proviennent pas du même niveau du gouvernement. Cela peut provenir de l’État fédéral, de l’État fédéré ou des communes. Cela peut parfois provenir de plusieurs de ces niveaux, mais les proportions ne sont pas les mêmes en fonction du type d’équipement à construire. Et c’est là où la presse est démagogique parce qu’elle compare des choses qui ne sont pas comparables. Tout le monde en vient à considérer qu’il aurait fallu dépenser moins pour cette Coupe et plus pour le reste. D’où le pessimisme ambiant, même si les Brésiliens restent fiers d’organiser cette Coupe du Monde.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Stéphane Monclaire est politologue et spécialiste de l’Amérique latine et du Brésil. Il est maître de conférences à l’Université Paris 1 et chargé de cours à l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine (IHEAL).

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