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Séropositive à 15 ans en 1988, Anne Bouferguene témoigne

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JOL Press : Comment avez-vous réagi lorsqu’on vous a annoncé que vous étiez séropositive ?
 

Anne Bouferguene: Mon cas est un celui des années 80. J’ai été diagnostiquée séropositive il y a 25 ans, en 1988. J’étais alors âgée de 15 ans. A l’époque, lorsqu’on vous annonçait que vous étiez séropositif, c’était comme si vous entriez dans le couloir de la mort. L’approche avec la maladie était donc difficile : c’est une époque où il n’y avait aucun traitement, et où les gens en succombaient assez rapidement.

C’était donc une situation très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Désormais, lorsque quelqu’un est diagnostiqué séropositif, il est traité tout de suite et son espérance de vie est semblable à celle de la population générale si il est bien pris en charge, avec un traitement lourd. La pathologie n’a donc plus rien à voir dans sa prise en charge médicale avec ce qu’elle était.

JOL Press: Etes-vous passée par une phase de déni lorsque vous avez appris que vous étiez malade ?

 

Anne Bouferguene: Plutôt que de déni, j’éprouvais une volonté de ne pas tenir trop compte de cet état, pour deux raisons essentielles. D’abord, parce que lorsque j’ai été diagnostiquée séropositive, il n’y avait de traitement, donc pas d’espoir…Comme il n’y rien à faire, je devais trouver un autre moteur.

Et puis, il y a aussi ce à quoi renvoie cette maladie, entourée de nombreux clichés stigmatisants. Enormément de choses erronées circulent sur le sida. Ce n’est pas une maladie dont on parle facilement. Je ne nie pas ma maladie, mais j’ai choisis, à cette époque-là, de ne pas en parler, à la fois parce que cela m’était très difficile et instinctivement pour me protéger. Bien sûr, mon entourage proche et mes parents m’ont entouré dans ce chemin de croix.

JOL Press : Qu’est-ce qui vous a poussée à briser le silence, et à écrire un livre sur votre combat contre le sida ?
 

Anne Bouferguene: La maturité ! J’ai tout de même mis 22 ans à parler de ma maladie. J’ai eu énormément de chance…Parmi les personnes contaminées dans les années 80, il n’y a eu environ que 6% de survivants. Pour ma part, j’ai pu faire des études supérieures, j’ai eu une carrière professionnelle, je suis devenue directrice générale d’entreprise, et je suis mère de deux enfants. A un moment, il a fallu que je digère et que j’accepte ma maladie. Je me suis rendue compte, que si moi, je n’étais pas capable de soutenir publiquement que j’étais séropositive, peu de monde  serait en mesure de le faire.

Si quelqu’un qui a eu énormément de chance, à qui la vie a souri ne peut pas en parler, mais comment font les autres ? Au tout départ, j’ai écrit pour moi-même afin d’être capable d’assumer ce que j’étais et ce que j’avais traversé comme épreuve. Puis chemin faisant, les rencontres aidant, Robert Laffont m’a proposé d’écrire un livre. Je me suis dit que je devais le faire pour ceux qui étaient morts, comme un devoir. Aujourd’hui c’est devenu un engagement, une sorte de militantisme.

JOL Press : Le regard porté sur les séropositifs a-t-il évolué trois décennies après la découverte du virus ?
 

Anne Bouferguene: Ce qui est extrêmement dommageable aujourd’hui, c’est qu’il y a une méconnaissance assez importante de ce qu’est devenue la maladie, comme si elle concernait une autre génération. Nous sommes restés sur la connaissance qu’on en avait il y a 25 ans : c’est-à-dire, cette « maladie qui n’arrive qu’aux autres ».

Et par ailleurs, on ne sait pas aujourd’hui qu’on peut vivre normalement avec le VIH, avoir des enfants dans certaines conditions, et qu’on ne transmet plus le virus lorsqu’on est traité…Nous ignorons encore beaucoup de choses et notre rapport avec cette maladie est par conséquent irresponsable.

JOL Press : C’est le problème majeur de cette pathologie ?
 

Anne Bouferguene : Oui c’est la non-détection qu’il faut combattre aujourd’hui : ce sont les personnes qui ne se savent pas séropositives qui sont vecteurs de la contamination, entre 30 000 et 40 000 personnes aujourd’hui en France. En Afrique, Asie du Sud-Est et Europe orientale, 50% des populations séropositives l’ignorent.  

Pour que les personnes se fassent détectées, il faut qu’elles n’appréhendent pas autant le diagnostic. Pour cela il faut que cela devienne normal de faire des tests de sérologie proposés par le corps médical. Le rapport de l’Institut national de veille sanitaire (InVS) pointe d’ailleurs une progression importante d’une détection chez les plus de 50 ans…c’est bien la preuve que le virus ne choisit pas ses proies !

JOL Press: Peut-on avoir une existence normale lorsqu’on est atteint du sida aujourd’hui en comparaison aux années 80 ?
 

Anne Bouferguene: C’est à double tranchant. Il est évident qu’il est préférable de vivre sans plutôt qu’avec le VIH. Je pense que c’est cette forme de « dédramatisation responsable » qui est primordiale.

Aujourd’hui, dire et redire qu’on peut être traité, et mener une vie quasi normale c’est inciter la population en âge d’avoir des relations sexuelles de ne pas se désintéresser de la maladie par peur.

JOL Press: De plus en plus d’adolescents sont touchés par le sida. La prévention est-elle suffisante selon vous ?
 

Anne Bouferguene: La prévention a été très forte au début des années 90, dans les écoles ou associations, lorsqu’il n’avait aucun moyen d’enrayer la transmission. Mais aujourd’hui, il n’y a pas énormément d’actions de prévention qui sont faites pour les jeunes.

Dans le monde éducatif à la française, il y a des difficultés à parler dans le cadre scolaire de la sexualité. Puisque la question du sida rejoint la question de l’entrée dans la sexualité, de ce qu’on doit accepter ou ne pas accepter. 

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

 
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