Site icon La Revue Internationale

Uruguay: Pepe Mujica «offre un lieu» à cinq prisonniers de Guantánamo

[image:1,l]

JOL Press : Le président uruguayen est sous les feux des projecteurs depuis sa réforme de légalisation de la marijuana. Pourquoi « Pepe Mujica » fascine-t-il autant ?
 

Damien Larrouqué : José Mujica fascine depuis bien avant la légalisation du cannabis. On en a peu parlé, mais il a réalisé une grande intervention lors du Sommet de Rio +20, en juin 2012, sur les conséquences du changement climatique dans lequel il prenait une posture audacieuse en critiquant le capitalisme mondialisé, responsable de la crise écologique dans laquelle nous vivons.

C’est à ce moment-là qu’ il a été repéré par la blogosphère internationale. Au niveau national, c’est quelqu’un d’assez atypique par son passé : c’est un ancien guérillero Tupamaros, mouvement politique uruguayen d’extrême gauche. Maintenu en prison pendant 13 ans, il est passé au bord de la folie, étant donné les conditions de détentions effroyables dont il a été victime. Malgré cela, José Mujica est quelqu’un qui est resté attaché au principe de cohésion nationale, il n’a jamais exprimé aucune idée de vengeance à l’encontre des militaires qui l’ont torturé.

C’est un homme d’Etat qui regarde le futur plutôt que de régler les comptes du passé. Autre point qui a forgé sa carrure sur le plan national et régional : son salaire réduit 90%. Sur les 12 500 dollars, il n’en conserve que 1500, et distribue le reste à des œuvres caritatives, dans la grande ligne de son combat politique pour plus de justice sociale.

JOL Press : José Mujica vient d’accepter une demande émanant de l’administration américaine pour accueillir cinq prisonniers de la base militaire américaine de Guantanamo. Quelle est la position de l’ex-guérillero vis-à-vis des droits de l’homme ?
 

Damien Larrouqué : Sa position est ambivalente. L’Uruguay a été pointé du doigt par l’ONU concernant ses conditions de détention il y a deux ou trois ans. C’était une promesse d’engagement de Pepe Mujica d’essayer d’améliorer la condition de vie des prisonniers  en Uruguay. Il y a donc là un petit d’effet d’annonce, stratégie. L’Uruguay a une culture démocratique depuis le début du XXe siècle avec un bipartisme historique.

Pour la première fois en 1973, les militaires arrivent au pouvoir dans un contexte de contagion militariste régionale qui est vécu comme un traumatisme politique. C’est une parenthèse très violente qui durera 10 ans : l’Uruguay a été l’un des pays les plus militarisés au monde. Plus de 500 000 personnes sont passées à un moment ou à un autre par les geôles du régime, par la torture, exaction, dont José Mujica qui a été gardé en otage.

JOL Press: Comment s’est faite la reconstruction politique en Uruguay après la dictature ?
 

Damien Larrouqué : Cette reconstruction est passée par l’acceptation des règles de la loi d’amnistie votée en décembre 1986: les militaires acceptaient de partir du pouvoir à la condition que le nouveau parlement décrète une loi qui empêchera la justice de les poursuivre. L’amnistie concernait les militaires mais aussi les guérilleros dont Mujica a bénéficié.

Autre acteur important : la société civile en Uruguay qui depuis 1989, puis 2009 s’est battue pour faire abroger cette loi, sans y être parvenue. A deux reprises, lors de référendum abrogatifs, le peuple a refusé de revenir sur cette loi d’amnistie, considérant qu’elle était favorable à la cohésion nationale.

Mais à côté de ça, les organismes internationaux, tels que la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui depuis les 1990 sanctionne l’Uruguay pour cette loi d’amnistie. Sous la pression de la communauté internationale le gouvernement uruguayen a été obligé d’abroger la loi en 2009, contre la décision du peuple donc. Pepe Mujica n’a pas opposé son veto mais s’est opposé moralement à l’abrogation de la loi, considérant qu’elle avait servi à reconstruire la démocratie après la dictature. Il a été critiqué par la gauche. Pepe Mujica navigue sur les questions de droit de l’homme : il navigue entre sa stature internationale, et le blason qu’il essaie de redorer.

JOL Press : En acceptant d’accueillir cinq détenus de Guantanamo, le président uruguayen cherche-t-il à « attirer l’attention internationale », comme lui reproche l’opposition ?
 

Damien Larrouqué : L’ancien président Jorge Batlle (Parti Colorado) lui reproche effectivement de prétendre au Prix Nobel de la paix et de vouloir « capter l’attention internationale »…Mais je ne pense pas que José Mujica cherche la gloire. Il est toujours resté égal à lui-même.

Au pouvoir depuis le 1er mars 2010, il a toujours dit qu’il ne ferait qu’un mandat, il a gardé ses habitudes de vie classique : il se balade sans costume, sans protection,  et vit toujours dans sa ferme…C’est quelqu’un  d’étonnant et d’assez contradictoire à la fois sur certains aspects, notamment sur cette question des droits de l’homme. Le président uruguayen navigue entre plusieurs courants. Il est indécis et se laisse porter par le cours des évènements.

Il sait que son pays a été attaqué par les instances internationales pour la loi d’amnistie depuis 1986, il est conscient que les conditions de détention dans son pays ne sont pas reluisantes : accueillir les cinq prisonniers de Guantanamo  est donc une manière de se faire bien voir des Etats-Unis, et d’essayer de faire changer la vision de répression que continuent d’avoir les Etats-Unis sur les questions de drogue. C’est quelqu’un de courageux qui essaie de ménager tout le monde, à l’échelle nationale et internationale, comme sa position actuelle sur le Venezuela.

JOL Press : Cette annonce intervient peu de temps avant la première rencontre entre Pepe Mujica et Barack Obama, qui aura lieu le 12 mai à Washington. Est-ce que cela peut être vu comme une volonté de rapprochement avec les Etats-Unis ?
 

Damien Larrouqué : Là encore, cela fait partie du personnage avec ses ambiguïtés. Je ne sais pas si l’on peut vraiment parler de rapprochement…Les relations entre Washington et Montevideo n’ont jamais été froides en réalité. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait eu de guerre froide entre les deux pays. Leurs relations diplomatiques sont relativement normales.

Barack Obama lui suggère cette possibilité sur l’accueil de détenus de Guantanamo, José Mujica l’a saisi: ce n’est pas parce qu’il est opportuniste,  mais il a des convictions concernant la promotion de droits de l’homme. Il y a une dimension très personnelle dans tout ce qu’il entreprend. Lorsqu’il parle des conditions de détention, il sait de quoi il parle parce qu’il les a vécu !

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

 

Quitter la version mobile