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14-18: Quand la guerre rencontre le 7ème Art

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Entre 1914 et 1918, guerre et cinéma entament une vie de couple qui n’a jamais cessé jusqu’à aujourd’hui.

Extrait de « Le Cinéma et la guerre de 14-18 », de Patrick Brion, préfacé par François Cochet (Les Editions Riveneuve)

Depuis les tout premiers reportages sur des conflits, réalisés durant la guerre de Crimée puis celle de Sécession, on sait que les images – fixes puis mobiles – peuvent être détournées, quand bien même elles revendiquent de dire la vérité ; que cette « vérité », elles peuvent aussi la travestir. La nouveauté n’est donc pas dans le traitement qualitatif de l’information. En revanche, elle se situe incontestablement dans une mutation quantitative. 

Désormais intégré dans des procédés culturels de guerre, le cinéma dispose d’une capacité de mobiliser des foules importantes, de toucher le public des villes par le biais de salles permanentes, mais aussi celui des nombreux Cafés Concerts qui projettent souvent des films d’actualité ou de fiction. Les communautés rurales sont également touchées par le biais des cinémas itinérants qui se multiplient – même si le phénomène se développe surtout dans l’entre-deux-guerres.

La caisse de résonance gagnée par le cinématographe devient exceptionnelle et sa massification correspond à celle que la grande presse généraliste avait connu entre les années 1860 et 1890 – le caractère bon marché des places de cinéma jouant un rôle non négligeable dans la diffusion du genre.

Convoqué par les belligérants pour dire la justesse du combat, pour dénoncer l’adversaire et ses pratiques, le cinéma documentaire se fait enjeu tout autant que moyen, arme aussi bien que vecteur.

Dès le mois d’août 1914, Oskar Messter, propriétaire du premier cinéma ouvert à Berlin, propose à l’état-major allemand de couvrir la guerre par des films d’actualité.

La section photographique et cinématographique de l’armée française, créée au printemps de 1915, fournit des images fixes et mobiles officielles qui alimentent les « informations » diffusées à l’arrière. Ces images disent la guerre à leur manière, en la forgeant à l’aune des directives gouvernementales. Il faut filmer les destructions causées par les Allemands, dans le double but de témoigner de leur « barbarie » et de pouvoir plus tard reconstruire.

Ces films doivent participer à l’édification de la nation en guerre et tous les belligérants procédent à l’identique – l’Allemagne ayant une certaine avance dans ce registre au début de la guerre, notamment parce que la quantité de photographes militaires y est supérieure à celle que l’on connaît dans l’armée française.

[image:2,s]Les productions cinématographiques sont systématiquement tournées en binôme avec un photographe de telle manière que, sur un même sujet, il puisse être fourni au public des images mobiles aussi bien que des images fixes.

A côté des reportages sur les destructions occasionées par la guerre, de nombreux films documentaires tentent d’illustrer le combat des « poilus » – le film de guerre, malaisé encore aujourd’hui, l’étant évidemment bien davantage encore à l’époque en raison des contraintes techniques : les caméras sont encombrantes, dotées d’un trépied, et l’opérateur doit être capable de maîtriser ses émotions, car il lui revient de tourner régulièrement la manivelle qui alimente l’appareil en pellicule.
 
Autant dire que la quasi-totalité des scènes prétendumment de guerre sont en fait des reconstitutions. Filmées avec de vrais soldats, parfois sur des lieux de combats ou plus souvent encore sur des terrains d’entraînement, elles sont là pour « rendre l’ambiance » en évacuant le vrai danger.
 
Au passage, la « guerre des images » prend pas mal de liberté avec la vérité – des pratiques qui interrogent l’historien sur la fabrication de « vrais-faux », y compris par des démocraties.
 
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Patrick Brion est historien du cinéma et auteur de multiples monographies (D. W. Griffith, John Huston, Richard Brooks, John Ford, Joseph L. Mankiewicz, Elisabeth Taylor, Dean Martin, etc.). Il a également publié avec Georges di Lallo dans la collection Riveneuve-Cinéma Le train fait son cinéma (2012).
François Cochet est professeur d’histoire contemporaine à l’université Paul Verlaine de Metz. Spécialiste des conflits contemporains, il a publié de nombreux ouvrages comme le Dictionnaire de la Grande Guerre avec Remy Porte (Laffont, Collection Bouquins, 2008). Il dirige le programme « Expérience combattante du 19e au 21e siècle » dans le cadre de la maison des Sciences de l’Homme de Lorraine.
 
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