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22 novembre 1963: les larmes de Jackie Kennedy

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John Fitzgerald Kennedy a été assassiné à Dallas le 22 novembre 1963 (Photo: Wikimedia Commons)

De la nature, elle avait reçu trois dons : l’élégance, l’intelligence et la fortune. Ils conquirent celui qui allait devenir le 35e président des Etats-Unis. En s’unissant à John Fitzgerald Kennedy, qui briguait le siège de sénateur du Massachusetts, Jackie avait rejoint un clan et se soumettait à la loi d’une famille, toute entière vouée au dessein présidentiel d’un de ses fils. Nul doute qu’elle contribua à son élection, en 1960. Couple modèle aux yeux des médias et du public, John et Jackie symbolisaient une Amérique jeune, dynamique et volontaire. Cultivée, diplômée de l’université George Washington et de la Sorbonne, s’exprimant parfaitement en français, Jacqueline Bouvier ouvrit les portes de la Maison Blanche au monde des arts et des lettres. Son charme sauva plus d’une fois la mise au président sur la scène internationale.

Extrait de Jackie, les années Kennedy, de Frédéric Lecomte-Dieu (Editions de l’Archipel – 20 avril 2014)

Vers 13 heures, les sirènes des motards de police annoncent le départ de la Lincoln. Jackie se retourne une dernière fois. Elle est d’une humeur excellente.

— Retire tes lunettes de soleil, murmure John, retire-les, ils sont venus pour te voir !

Jackie obéit. Des centaines de milliers de Texans ceinturent le cortège. La foule est surexcitée. Certains sont suspendus à des panneaux publicitaires, à des lampadaires, à des arbres ou… penchés en haut des immeubles. Le cortège doit traverser deux fois le centre ville avant sa destination finale. Des affiches «John et Johnson» sont accrochées sur les grilles, les murs. Elles font oublier les tracts de la veille, qui comportaient le profil de John avec pour toute légende : «Recherché pour trahison.» Le Dallas Morning News avait titré ironiquement ce matin en une : «Bienvenue, monsieur le président !»

Le 24 octobre dernier, Adlai Stevenson avait été insulté par des centaines de Texans en furie. Il n’avait pas pu terminer son discours. Ils lui avaient craché au visage et jeté des objets.

13 h 30. La Lincoln se dirige vers la Bourse des affaires et le palais de justice, lorsque Nellie Connally s’adresse à John :

— Vous ne pourrez plus dire, monsieur le président, qu’on ne vous aime pas à Dallas !

— J’en ai l’impression !

Quelques minutes avant d’atteindre Trademark où ils doivent déjeuner, un coup de feu retentit. John regarde Jackie avec cette expression qui lui est si familière. Il pose ensuite les mains à sa gorge.

Ni les occupants de la voiture ni les services secrets ne se doutent de quoi que ce soit. Tous pensent qu’il s’agit encore de pétards ou de pots d’échappement déréglés. Le chauffeur de la Lincoln, Bill Greer, continue à rouler au pas. Le gouverneur Connally est sans doute le seul à identifier le coup de feu ; il se retourne à droite pour voir le président, puis à gauche. À ce moment précis, Connally est touché par une balle dans le dos. Une douleur vive envahit tout son corps. Il a l’impression d’avoir reçu un coup de poing très violent sur le bas des épaules. Il baisse les yeux vers son pantalon, il est couvert de sang frais. Jackie entoure de son bras gauche John et se penche vers lui.

Puis il y a un troisième coup de feu. Du sang et de la chair sont projetés sur tous les passagers et les vitres de la Lincoln. Jackie en reçoit sur le visage. La partie droite de la tête de John est emportée. Il s’écroule sur les genoux de Jackie qui hurle :

— Oh ! mon Dieu ! Ils ont tué mon mari ! John ! John !

Des larmes et du sang coulent sur ses joues.

— Je t’aime, John. Oh ! Je t’aime, John.

Le gouverneur Connally hurle :

— Ils vont nous massacrer tous !

Jackie tient entre ses mains la tête ensanglantée de John.

Elle la dépose délicatement sur le cuir de son siège et s’engage jusqu’au capot arrière pour rattraper un morceau de sa cervelle.

Clint Hill se précipite sur elle et la repousse.

— Non ! Non ! Laissez-moi !

Il l’attire dans l’habitacle et la protège de son propre corps. Le chauffeur accélère enfin jusqu’au tunnel, mais il est déjà trop tard. John agonise, le visage dans le sang. Une odeur épouvantable s’imprègne sur les vêtements de tous les passagers.

13 h 34. Le premier communiqué d’UPI tombe dans toutes les rédactions du pays :

«Dallas, on vient de tirer sur la voiture du président.»

13 h 41. CBS News diffuse ses premiers messages, l’Amérique est bouleversée. Bobby, qui était en famille et avec ses adjoints dans sa maison de Hickory Hill, est prévenu par le directeur du FBI, John Edgar Hoover. Ce dernier a pris un grand plaisir à lui annoncer la nouvelle. Ted le saura au cours de sa séance au Sénat…

«Dallas, au Texas, trois coups de feu ont été tirés sur le cortège présidentiel. Il semblerait que le président Kennedy soit gravement touché. Nous recevons à l’instant de plus amples informations : le président Kennedy a été touché alors que le cortège quittait le centre ville. Mme Jacqueline Kennedy s’est précipitée vers M. Kennedy. Elle s’est écriée : “Oh non ! Oh non !” Le cortège a accéléré. Selon United Press, les blessures de M. Kennedy pourraient être mortelles. Je répète, flash d’information CBS News, le président Kennedy aurait été victime d’une tentative d’assassinat à Dallas.»

Quelques minutes plus tard, la Lincoln se gare devant les portes de l’hôpital Memorial Parkland. Les médecins ont déjà été prévenus par radio. Dans une cohue déconcertante, les services secrets et les infirmiers transportent le corps inanimé de John. Son visage est recouvert par la veste de Clint Hill. Les photographes se jettent sur la voiture et tirent les premiers clichés, dont le bouquet de roses rouges écrasées par les pieds du président et de la Première Dame. Dave Powers, en découvrant la scène, se sent très mal et court aux lavabos pour vomir.

Le médecin chef attribue un numéro au dossier du malade : 24 740. Il note : «Race blanche, blessé par balle.»

Un des agents des services secrets demande à joindre un prêtre. Le chef de l’hôpital lui donne les coordonnées du père Huber, qui franchit les portes de la salle des urgences à 13 h 57 et donne l’extrême-onction au président. Il s’éteint trois minutes plus tard. Avant de recouvrir son corps d’un drap blanc, Jackie embrasse tendrement l’un de ses pieds. La scène est presque insupportable pour le personnel médical présent. Elle marche dans son sang et pleure.

— Madame Kennedy, je vous en prie.

Tous ont la gorge serrée, beaucoup de femmes et d’hommes présents pleurent aussi.

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Frédéric Lecomte-Dieu, ancien publicitaire et attaché de presse pour le cinéma, commissaire d’expositions, travaille depuis 1995 sur les archives Kennedy. En 1998, à Paris, il organise avec l’Unesco une exposition intitulée «Kennedy, le rêve américain». En 2013, il est le commissaire de l’exposition anniversaire «Kennedy, le temps du souvenir», à Paris. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont «Les Kennedy – La vérité sur le clan» (Editions Jourdan, 2013) et «Kennedy – Au cœur de l’Amérique» (Timée Editions, 2010).

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