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Affaires à l’UMP, montée du FN: et si on renouvelait le personnel politique?

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Les démocraties représentatives deviennent de plus en plus élitaires (shutterstock.com)

JOL Press : Le manque de renouvellement du personnel politique est-il une exception française ?

Luc Rouban : Il faut déjà bien comprendre que cette question n’est pas nouvelle, sous la IIIe République déjà, le manque de renouvellement du personnel politique était un grand argument contre la démocratie parlementaire. On avait alors un système gouvernemental très instable et quand on regardait le personnel, on constatait qu’il s’agissait toujours des mêmes. Les radicaux socialistes, par exemple, avaient des racines locales très fortes et donc une clientèle électorale pratiquement assurée. Ils pouvaient gagner ou perdre les élections, on les voyait très régulièrement revenir, à une époque où les gouvernements pouvaient durer trois mois ou quinze jours.

Cet argument est aujourd’hui porté par un grand nombre de partis politiques et notamment le Front national, en France, mais aussi par tous les partis populistes en Europe. Que ce soit l’Italie avec Beppe Grillo ou dans les pays scandinaves, ce type d’argument est très récurrent. Dans le discours populiste, la fermeture élitiste de la démocratie est un élément central.

JOL Press : Notre démocratie ne souffre-t-elle pas de ce manque de renouvellement du personnel politique ?

Luc Rouban : Globalement, les démocraties représentatives deviennent de plus en plus élitaires parce que la vie politique se professionnalise de plus en plus, et à tous les niveaux. C’est très clair chez les députés mais aussi chez les maires qui sont devenus de véritables professionnels de la politique. Le vrai problème est là : une oligarchie s’affirme à cause de la professionnalisation du personnel politique.

Par exemple, près du quart des maires qui ont été élus en 2014, dans les villes de plus de 30 000 habitants, sont des personnes qui ont presque toujours évolué dans le milieu politique et qui proviennent des entourages de maires ou des entourages de présidents de conseils généraux ou régionaux. Ce sont des hommes et des femmes d’entourage qui ont été formés dans le milieu politique depuis des décennies.

JOL Press : Comment expliquer cette professionnalisation de la vie politique ? Quelles en sont les causes ?

Luc Rouban : Nos circuits de décisions et de recrutements sont complètement dominés par les partis politiques. A l’origine, la Ve République était une république qui se voulait plébiscitaire, avec l’usage du référendum, qui était assez ouverte à l’appel au peuple et qui court-circuitait un peu la démocratie représentative. Et progressivement – à partir de l’arrivée au pouvoir de Giscard –, on s’est plus ou moins aligné sur des formes de démocraties parlementaires, on a oublié les racines de la Ve République qui instauraient un lien direct entre le peuple et le président de la République et on a vu revenir en force les partis politiques que le Général de Gaulle détestait souverainement.

Ce retour en force des partis politiques a tout bouleversé : vous ne pouvez pas devenir aujourd’hui député sans l’investiture d’un parti, par exemple. De là, tout le jeu démocratique a changé. Si on regarde le cas de l’UMP, quand on voit le coût d’une campagne, l’importance que prennent les sociétés de communication, on constate une professionnalisation parce qu’il y a de gros enjeux financiers. Aujourd’hui, pour être élu, il faut être un professionnel, avoir fait ses preuves et appartenir à un appareil politique partisan.

JOL Press : Cette mainmise oligarchique des partis sur la vie politique va-t-elle durer ou est-elle vouée à disparaître ?

Luc Rouban : Le Front national veut mettre fin à ce système mais c’est faire semblant d’ignorer qu’il est lui même une machine partisane. Nous sommes dans un jeu oligarchique à plusieurs où certains accusent d’autres d’avoir le monopole afin de mieux prendre leur place. La question qui se pose c’est jusqu’où on peut aller dans la déprofessionnalisation de la vie politique.

Il faut bien comprendre que si le personnel politique s’est autant professionnalisé, c’est aussi parce que la vie politique est devenue de plus en plus complexe. Vous ne pouvez pas aujourd’hui vous positionner, aussi bien sur le plan national qu’européen, sur un certain nombre de dossiers, si vous n’avez pas un certain nombre de compétences. L’idéal d’une démocratie directe et spontanée qui émane du peuple est un idéal qui paraît de plus en plus inaccessible.

JOL Press : Il y a 10 ans, personne ne connaissait Angela Merkel, Barack Obama ou encore David Cameron. En France, un inconnu pourrait-il devenir, en quelques années, président de la République ou Premier ministre ?

Luc Rouban : Cela me paraitrait très difficile. Mais attention, l’Allemagne et les Etats-Unis sont deux pays fédéraux et la France est un pays unitaire, les circuits politiques et les jeux constitutionnels ne sont pas du tout les mêmes. Quoi qu’il en soit, il paraît impossible, en France, de voir émerger une personnalité totalement inconnue en l’état actuel des choses. Aujourd’hui, un parti que ne se professionnalise pas a très peu de chances de se faire une place dans le paysage politique.

JOL Press : Faudra-t-il attendre d’avoir un FN au second tour pour que le système évolue ?

Luc Rouban : Il faut comprendre une chose très simple : le personnel politique ne va pas se suicider, au nom de la démocratie, personne ne va choisir de quitter son poste et retourner à ses activités parce que des activités en dehors, ils n’en ont plus. La politique, ils en vivent, eux, leurs familles, les copains de la famille et la famille des copains. Derrière ce système partisan, un clientélisme s’est développé, notamment dans les collectivités locales, d’où l’énorme problème de la réforme des collectivités territoriales aujourd’hui. 

La vérité, c’est que nous sommes renvoyés, en ce moment, à un très vieux problème qui structure la vie politique française depuis la Révolution : soit nous voulons un système élitaire relativement contrôlé par des professionnels qui limite, de fait, les droits du peuple, soit nous ouvrons les vannes au peuple mais alors attention parce qu’on passe de la Révolution de 1789 à celle de 1793. Le populisme à visage découvert conduit à la violence et à la dérèglementation de la vie politique.

Pourquoi aujourd’hui les partis de gouvernement ne veulent-ils plus entendre parler de référendum ? On a connu la Terreur, on a connu Vichy, le pouvoir au peuple n’est pas forcément un idéal à atteindre. La liesse du peuple dans la rue ne dure jamais bien longtemps et laisse souvent la place à de nouvelles oligarchies.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au CEVIPOF depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987. Ses recherches portent principalement sur les transformations du secteur public en Europe et plus particulièrement sur les mutations de la fonction publique et la réforme de l’État. Ses travaux visent à développer des analyses théoriques des ordres institutionnels qui s’appuient sur des enquêtes empiriques concernant les relations entre administration et politique, le travail des fonctionnaires ou la sociologie des élites. Dans ce cadre sont mobilisés les outils de l’histoire, de la sociologie du travail comme de l’analyse électorale.

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