La polémique sur les restrictions dans le budget de la Défense fait rage. Les quatre généraux qui dirigent l’état-major français seraient même prêts à démissionner, selon Le Canard enchaîné ! Le Général Vincent Lanata, ancien chef d’État-major de l’armée de l’air, nous livre son analyse, à chaud, sur l’actualité militaire…
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JOL Press : Faut-il prendre au sérieux les suppositions sur une démission des chefs d’état-major ?
Vincent Lanata : En tout cas ce serait nouveau et complètement exceptionnel ! Je ne crois pas que ce soit déjà arrivé dans l’Histoire. Quoi qu’il en soit, si cela devait se produire, ce serait la preuve qu’il y a un véritable malaise, et que cette réduction de crédit met en péril l’équilibre global de la Défense.
Néanmoins, si une telle démission « collective » survenait, la portée serait surtout symbolique. Je ne crois pas qu’elle serait suivie d’effets ou génèrerait une réaction en chaîne. On ne parle pas d’une révolution, mais plutôt d’un ensemble de choses, qui montre que les militaires sont un peu « au taquet », comme on dit dans la marine.
En outre, compte tenu des missions confiées aujourd’hui à la Défense, on ne peut plus aller en-deçà sur le plan des réductions de budget. La Défense a déjà donné en termes de réduction, elle a déjà participé à l’effort national : environ 80 000 postes ont été supprimés, sur 400 000, ce qui est énorme ! Aucune autre institution étatique n’a subi les mêmes réductions. On a pourtant voté une loi, en fin d’année dernière, qui garantit les crédits. Cette loi était déjà une contrainte, qui imposait de gros sacrifices… Il serait impensable d’aller au-delà.
JOL Press : Une telle période de contestation de l’armée est-elle déjà arrivée ?
Vincent Lanata : Pas à ma connaissance. Je ne crois pas qu’une telle démission des chefs d’état-major puisse se produire. A moins qu’ils ne décident, tous réunis, qu’ils ne puissent plus exécuter leurs missions du fait de cette coupe budgétaire…
JOL Press : La « grande muette » commence-t-elle à se faire entendre ?
Vincent Lanata : La « grande muette » a la particularité de ne pas se répandre dans la presse à longueur de journée. Mais, en général, les responsables que sont les chefs d’état-major, n’hésitent pas à dire ce qu’ils pensent, notamment au ministre. Ils montrent volontiers la ligne rouge quand c’est nécessaire.
La ligne rouge aujourd’hui, c’est la dissuasion nucléaire : il faut la maintenir car c’est le statut de notre nation qui est en jeu ! La protection du territoire ne se discute pas non plus, tout comme les interventions à l’extérieur.
JOL Press : Pourquoi cette contradiction gouvernementale, qui est de réduire les budgets de la Défense, tout en multipliant les opérations extérieures ?
Vincent Lanata : Le problème n’est pas le gouvernement mais la technocratie. C’est une approche comptable du budget de la Défense. Celui-ci est le second de la nation, donc le gouvernement cherche à puiser dedans. La loi de programmation actuelle est déjà suffisamment contraignante, si on réduit encore ce budget, on court au désastre.
JOL Press : L’état-major peut-il s’appuyer sur cette menace de démission pour faire « passer en force » le refus de cette réduction budgétaire ?
Vincent Lanata : Je ne pense pas. Ils émettent un avis, mais le Président de la République, qui est le chef des armées, agira après en prenant ses responsabilités.
Propos recueillis par Romain de Lacoste pour JOL Press
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Vincent Lanata a été chef d’État-major de l’Armée de l’Air. Il a notamment commandé des unités en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, au Qatar ou encore en Jordanie, de 1991 à 1994. Il a ensuite été chargé de mission auprès du ministre des Transports, Bernard Pons, de 1995 à 1997. Retraité du service actif, Vincent Lanata a monté deux sociétés de conseil spécialisées dans la défense et l’industrie.