Site icon La Revue Internationale

«Casa jurnalistului»: une rédaction pas comme les autres à Bucarest

casa_jurnalistului_ok.jpgcasa_jurnalistului_ok.jpg

[image:1,l]

Postée en face du 154 strada Viitorului à Bucarest, j’attends que quelqu’un m’ouvre le portail. « Entre ! » me lance une voix au fond de la cour. La porte de la « Casa Jurnalistului » est toujours ouverte. Dans cette maison vivent trois journalistes : Stefan, Vlad, et Radu, qui ont quitté il y a deux ans leurs postes dans des grands journaux roumains pour créer un média indépendant et alternatif.

« Nous avons emménagé dans cette maison il y a six mois grâce aux fonds récoltés avec un projet de crowdfunding, car on nous a coupé l’électricité dans l’autre petit appartement dans lequel nous vivions » m’explique Stefan Mako, qui m’emmène faire une visite guidée de ce lieu insolite.

[image:2,l]

« Un lieu ouvert »

Au rez-de-chaussée, des canapés et des matelas sont disposés sur le sol, où les journalistes étrangers peuvent rester dormir quelques jours. Le lieu est ouvert à tous, meilleur moyen de prôner la transparence dans cette rédaction pas comme les autres : « Tout le monde peut venir pour débattre, proposer des idées pertinentes pour le projet » poursuit Stefan, avant de grimper au dernier étage pour me montrer le cœur de la « Casa Jurnalistului » : la salle de rédaction.

A l’image d’une « génération débrouille », qui fait avec les moyens du bord, les journalistes de la « Casa » ont récupéré la plupart du mobilier et du matériel : des canapés aux ordinateurs, en passant par la déco, comme la tête de cette statue rebaptisée Hortensia en référence à l’auteure roumaine Hortensia Papadat-Bengescou. Sur les murs, sont affichés de nombreux schémas, squelettes de leurs articles, qui leur permettent de mieux comprendre la problématique du sujet et ce qu’ils veulent démontrer et dénoncer.

15 000 internautes sur Facebook

C’est lors des manifestations contre le projet d’exploitation de la mine de Roșia Montană, à l’automne 2013, que leur initiative se concrétise et prend de l’ampleur : « C’est là que nous avons eu une idée précise de là où nous voulions aller, se souvient Stefan : proposer de vrais reportages, après être allé enquêter sur le terrain et récolté plusieurs témoignages: du journalisme quoi! Les gens ont commencé à nous suivre : la plupart sont jeunes, et de plus en plus d’étudiants en journalisme se sont interessés au projet  ». Aujourd’hui, plus de 15 000 internautes les suivent sur Facebook. Les journalistes vivent des donations des lecteurs ainsi que des collaborations free lance qu’ils font avec d’autres médias.

[image:3,l]

« Pour soutenir le journalisme indépendant, bois une autre bière »

Au fond de la cour de la maison, nous empruntons un petit escalier étroit donnant sur une cave : « C’est notre club illégal souterrain » plaisante Stefan. C’est ici que se déroulent les fêtes et autres évènements qui leurs permettent de récolter un peu d’argent. Une phrase est inscrite au feutre noir au-dessus du « bar » sur le mur en pierre : « Pour soutenir le journalisme indépendant, bois une autre bière ».

[image:4,l]

« Etre Européen ? Pouvoir voyager librement où je veux ! »

Alors que la Roumanie est entrée il y a sept ans dans l’UE, l’identité européenne reste une idée abstraite pour Stefan et Radu : quelque chose qui évoque avant tout des mots comme « Bruxelles », « politiciens », ou « bureaucratie ». Il y voit cependant des avantages concrets pour le pays : « Il y a sept ans, c’était très difficile de partir à l’étranger : il fallait un passeport, un visa, des rendez-vous administratifs à n’en plus finir » explique Stefan. « Alors, pour moi, être européen aujourd’hui, signifie avant tout d’être libre d’aller où je veux et rencontrer des jeunes qui ont les mêmes intérêts et mêmes problèmes ».

[image:5,l]

Avis partagé par Vlad, le journaliste à l’origine du projet de Casa Jurnalistului, pour qui cette liberté de se déplacer a eu un impact sur la société roumaine : « Les gens partis travailler envoient de l’argent à leur famille, et reviennent en Roumanie avec l’envie de faire évoluer les choses, et ne plus vouloir être pointés du doigt par les autres pays avec cette étiquette du ‘Rom voleur’ » explique-t-il.

« Changer les choses à notre échelle »

Cette volonté de voyager, les journalistes l’ont dans le but de faire des reportages, des documentaires, mais pas pour s’installer à l’étranger. « Beaucoup de nos amis et collègues ont quitté le pays : c’est plus facile pour les jeunes de partir et de trouver un emploi ailleurs. Mais, selon moi, ce n’est pas la bonne option. Je pense qu’ils sont en en train de fuir leur mission. Si je partais, je devrais me battre autant pour apprendre la langue du pays… Alors autant rester ici pour avoir un impact concret et essayer de changer les choses à notre échelle » estime Stefan. 

Pendant ce temps, Radu coupe du bois trouvé dans le garage, dispose des briques sur le sol et improvise un barbecue afin de faire cuire le « Zacuscă », plat traditionnel roumain. En pointant la marmite du doigt, il s’exclame : « Ce repas est la meilleure métaphore  que l’on puisse faire de la Casa Jurnalistului : bâtir quelque chose de qualité avec presque rien au départ ».

Quitter la version mobile