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Centrafrique: MSF attaqué par un groupe armé, un humanitaire raconte

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JOL Press : Que s’est-il passé dans la journée de samedi à l’hôpital de Naga Boguila ?
 

Tarak Bach Baouab : En début d’après-midi, nous avions réuni des notables des villages avoisinants pour discuter de l’accès à la santé des dizaines de milliers de personnes qui sont encore déplacées dans la région de Boguila, au nord-ouest de la Centrafrique. Au même moment, un groupe armé s’est présenté à l’hôpital, avec l’objectif d’un hold-up, et le staff international a été emmené dans le bureau de Médecins sans frontières pour vider le coffre. Pendant ce temps-là, une fusillade a éclaté.

Nous n’avons pas beaucoup de détails sur les raisons de cette fusillade, mais à la fin du braquage, nous sommes retournés vers l’endroit où nous tenions la réunion avec les leaders communautaires régionaux, et nous avons trouvé seize corps criblés de balles, dont trois staffs nationaux de MSF.

JOL Press : Est-ce la première fois que vous subissez ce genre d’attaque ciblée ?
 

Tarak Bach Baouab : Nous avons connu d’autres incidents, certains plus sérieux que d’autres, mais l’ampleur de ce massacre est certainement unique dans l’histoire de MSF en République centrafricaine. Ce qui est arrivé à Boguila n’est pas quelque chose d’inimaginable, mais c’est très choquant et c’est la première fois que cela arrive sur un lieu clairement identifié comme étant un hôpital d’une organisation qui travaille depuis plus de vingt ans dans le pays, et qui est bien reconnue des différents groupes armés. C’est une situation que nous n’avons pas eue à gérer précédemment.

JOL Press : Les rebelles de l’ex-Séléka seraient responsables de cette attaque. Comment les avez-vous identifiés ?
 

Tarak Bach Baouab : Il y a eu des discussions après l’attaque avec les personnes qui avaient survécu ainsi que dans la ville. Le groupe armé était en fait divisé en deux : une partie est restée dans la ville et l’autre est allée à l’hôpital. Dans nos discussions avec la population locale après l’incident, plusieurs habitants ont clairement identifié au sein du groupe armé des membres qui, précédemment, faisaient partie de l’administration de la ville quand elle était sous contrôle de la Séléka. Une partie du groupe armé était donc alliée ou en tout cas faisait partie de la mouvance de la Séléka.

JOL Press : Que revendiquent ces hommes ? Pourquoi s’en sont-ils pris à des humanitaires ?
 

Tarak Bach Baouab : Nous pensons que c’est surtout pour des questions de ressources. En effet, ces groupes armés doivent se nourrir, s’armer, et ils ont donc besoin d’argent pour continuer à survivre et à contrôler la zone. Nous pensons qu’ils sont venus dans la ville de Boguila pour cette raison, et ils ont potentiellement rencontré une situation à laquelle ils ne s’attendaient pas et qui a dégénéré en un massacre.

Ce massacre est un symbole de l’insécurité qui règne dans cette partie du pays : il y a une vraie crise de protection envers la population civile en République centrafricaine depuis des mois. Cette protection n’a pas été assurée de façon efficace depuis la mise en place d’une intervention internationale en décembre dernier, puisque nous continuons à subir ce genre d’incidents.

JOL Press : La situation sécuritaire en Centrafrique s’est donc clairement détériorée ces derniers mois ?
 

Tarak Bach Baouab : La situation est en fait assez complexe depuis le mois de mars 2013. Nous avons sonné l’alarme à de nombreuses reprises. Malgré tout, il y a eu un certain sursaut de la communauté internationale en fin d’année 2013 mais il semble que cela ne soit pas suffisant pour sécuriser les populations civiles qui doivent gérer ces groupes armés de façon constante, ainsi que les travailleurs humanitaires qui tentent de leur apporter une aide médicale dans des conditions très difficiles.

JOL Press : Pourquoi avez-vous décidé de suspendre vos activités ?
 

Tarak Bach Baouab : Je pense que nous ne sommes pas en mesure de continuer à travailler dans une zone où l’espace de travail de MSF, les hôpitaux et les centres de santé ne sont pas respectés pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des endroits où la population peut accéder à des soins de santé de manière sécurisée. Il est en ce moment impossible pour nous de continuer à offrir des soins de santé pourtant essentiels à la population.

Nous nous rendons bien compte de l’impact que cette décision a sur l’accès à la santé dans cette zone du pays, puisque nous avions des gens qui venaient vers notre hôpital sur 100 kilomètres à la ronde, mais en même temps il n’est pas possible de continuer à travailler dans de telles conditions. Notre détermination à offrir des soins de santé se maintient, mais nous sommes dans l’obligation de revoir la manière dont nous pouvons travailler dans ces conditions, et s’il est réellement possible de travailler dans ce contexte.

JOL Press : Avez-vous reçu des soutiens des autorités centrafricaines ?
 

Tarak Bach Baouab : Je n’ai pas tous les détails de nos interactions avec les autorités locales, mais à ce jour, le gouvernement transitoire centrafricain n’a toujours pas condamné la tuerie de l’hôpital de Boguila. Il faut noter que l’État s’est effondré en mars 2013 et qu’il n’est pas en mesure d’offrir la sécurité à sa population depuis ce moment-là.

Ce qui est préoccupant, c’est qu’une intervention internationale a été mise en place en décembre dernier, avec l’objectif principal de protéger les populations civiles, de faciliter l’accès à l’aide humanitaire et le travail des humanitaires. Or cet incident montre que cette intervention internationale n’est pas encore en mesure de réaliser les objectifs qu’elle s’est donnés.

JOL Press : Aux niveaux sanitaire et médical, de quoi souffrent le plus les Centrafricains aujourd’hui ?
 

Tarak Bach Baouab : La cause principale de mortalité en Centrafrique est la malaria, transmise notamment par les moustiques. La saison des pluies commence, donc un pic de malaria devrait arriver dans les prochains mois. Et si la maladie n’est pas traitée, elle peut être fatale.

Nous voyons également une courbe montante des cas de malnutrition. L’instabilité dans le pays depuis un an a mené à une cassure des mécanismes de marché et de commerce, ce qui provoque une insécurité alimentaire grandissante et donc un plus grand nombre de cas de malnutrition aigüe, particulièrement chez les enfants.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Tarak Bach Baouab est conseiller humanitaire au bureau de MSF Amsterdam, et suit le développement de MSF en Centrafrique.

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