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Construire une identité européenne: la grande utopie?

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« La construction de l’UE s’est faite par l’intégration économique. Or, un marché commun n’est pas de nature à créer une communauté politique » (Crédit: Shutterstock.com).

JOL Press : De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque l’identité européenne ?
 

Thomas Houdaille : C’est une notion assez floue, il faut bien l’admettre. Toute la question est d’ailleurs de savoir si une telle identité européenne existe. Je parlerais plutôt du sentiment d’appartenance et d’adhésion à une communauté de destins, à un projet dépassant le concept d’Etat-nation. C’est tout ce qui fait qu’on va se sentir Européen. Concrètement, cela passe par la participation à un esprit public européen – qui a bien du mal à émerger. C’est par exemple voter aux élections européennes. Or, les taux de participation dépassent très rarement 40%.

JOL Press : Comment se développe ce sentiment dans les différents pays membres de l’UE ?
 

Thomas Houdaille : De façon assez disparate. On constate que les Etats qui sont les piliers historiques de l’Union européenne ressentent plutôt moins ce sentiment d’appartenance que les nouveaux entrants. Ces derniers perçoivent globalement l’Europe comme un projet humain porteur d’espoir. Ensuite, des facteurs culturels expliquent aussi pourquoi ce sentiment se développe différemment selon les pays : l’Allemagne – où il est assez fort – est une République fédérale où le concept d’Etat-nation a moins de poids qu’en France par exemple.

Ce sentiment d’appartenance décline partout en Europe. On assiste à la montée des souverainistes et des nationalistes qui remettent en question le projet européen. L’identité européenne se renforce si l’UE répond aux attentes des citoyens, ce qui n’est plus le cas depuis plusieurs années.

JOL Press : La faute à la crise de 2009 ?
 

Thomas Houdaille : C’est plus compliqué. La construction de l’UE s’est faite par l’intégration économique. Or, un marché commun n’est pas de nature à créer une communauté politique et un sentiment d’appartenance. D’un autre côté, c’était la façon la plus pragmatique pour faire avancer l’Europe et accueillir de nouveaux pays. A cela s’ajoute la crise qui a balayé les espoirs de prospérité économique. Comme il n’y avait pas de socle politique, l’identité européenne a été battue en brèche.

JOL Press : Ce sentiment d’appartenance est-il plus fort dans les pays qui ont davantage profité de l’aide européenne ?
 

Thomas Houdaille : Bien sûr. C’est notamment le cas de la Pologne. Cet aspect a aussi joué à un moment donné pour les pays du sud de l’Europe (Grèce, Espagne, Portugal). Mais depuis 10 ans, plus particulièrement depuis le début de la crise en 2009, ce n’est plus le cas pour ces trois Etats.

On peut distinguer trois exemples éloquents. Pour le Royaume-Uni, l’UE est un marché. On trouve dans ce pays une forte culture du retour sur investissement et une défiance par rapport à une Union politique. Pour l’Allemagne, l’Europe a servi de rédemption après la période nazie. La culture fédérale du pays a permis de créer un sentiment d’appartenance assez fort, contrairement à la France où le fort attachement au concept d’Etat-nation freine la construction européenne.  

JOL Press : Est-il totalement illusoire de penser que les Européens puissent se sentir Européens avant de se sentir Français, Italiens, Suédois etc. ?
 

Thomas Houdaille : Dans un futur proche, cela me semble absolument impossible. D’ici 50 ans, on pourra peut-être en reparler. Cela étant, je ne pense pas que cela soit souhaitable. A mon sens, l’enjeu est davantage de créer un sentiment d’adhésion à l’Europe qui viendrait s’ajouter au sentiment d’appartenance nationale. Le challenge dans les années à venir est de rendre l’Europe populaire, c’est-à-dire que les peuples se reconnaissent dans le projet européen.

J’ai été choqué en écoutant l’interview de François Hollande sur BFMTV, mardi 6 mai, qu’il ne dise pas un mot sur l’Europe à trois semaines des élections européennes. C’est très révélateur : la responsabilité des politiques est lourde pour expliquer l’absence de ce sentiment d’appartenance.

Propos recueillis par Marie Slavicek pour JOL Press

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