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Coupe du monde au Brésil: le graffiti de la colère

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Un jeune garçon brésilien en pleurs, fourchette et couteau à la main, devant un gros ballon de football posé dans une assiette vide. Le graffiti, peint sur le mur d’une école du quartier Pompeia à São Paulo – le choix du lieu n’est pas un hasard –, en dit long sur la situation sociale au Brésil.

L’œuvre est signée Paul Ito, un artiste de street art de 36 ans qui se présente, sur sa page Facebook, comme un « peintre de rue menant une guérilla poétique ». Partagée et « likée » des dizaines de milliers de fois sur le réseau social, reprise par les grands médias internationaux, l’image est devenue icône. Icône de la colère des Brésiliens, à quelques semaines du Mondial de football.

« Need food, not football »

Car malgré l’engouement général pour la Coupe du monde, qui se tiendra du 12 juin au 13 juillet dans le pays où le football est roi, la contestation contre les dépenses allouées à l’événement continue.

[image:2,s]Elle s’est exprimée avec vigueur dans la rue l’année dernière et a repris – un peu moins intensément – ces dernières semaines. En ligne de mire des manifestations : les coûts exorbitants du mondial, qui dépassent les dix milliards d’euros, dans un pays où les inégalités sociales sont criantes.

En juin 2013, un an avant le lancement des « hostilités », des centaines de milliers de Brésiliens étaient en effet descendus dans la rue pour demander une amélioration des services dans le domaine des transports, de l’éducation et de la santé. Ils protestaient contre l’argent attribué à la construction des stades au détriment des services publics.

Pour l’artiste, ce dessin ne fait que condenser de manière frappante ce sentiment partagé par de nombreux Brésiliens. « Je ne cherche pas à dire que personne ne fait rien contre la pauvreté. Mais nous devons montrer au monde et à la société brésilienne que la situation n’est pas bonne », a-t-il confié à lédition américaine de Slate

Malgré les efforts du gouvernement, le Brésil fait toujours face à de profondes inégalités sociales. Car même s’il a connu un développement économique sans précédent depuis trente ans, et conserve sa place de grande puissance émergente, le pays est, lui aussi, frappé par le fouet de la crise économique depuis cinq ans.

JOL Press: Ton graffiti d’un jeune garçon affamé est devenu un phénomène viral sur internet. Que penses-tu de cette popularité ?
 

Paul ItoC’est bien, et en même temps cela me donne beaucoup plus de responsabilité et de pression quant à la qualité de mes prochains travaux !

JOL Press: Pourquoi penses-tu que ce dessin est particulièrement représentatif de la société brésilienne ?
 

Paul ItoIl est représentatif de cette période, et de la manière dont les gens percevaient déjà les priorités, même si l’argent dépensé pour la Coupe du monde n’est pas aussi conséquent comparé à tout le budget brésilien.

JOL Press: Les graffitis sont nombreux à couvrir les murs au Brésil. Est-ce un phénomène nouveau ou bien existe-t-il une vraie culture du street art brésilien ?
 

Paul ItoJe pense que le street art au Brésil est reconnu internationalement pour sa grande créativité et son originalité. C’est bon signe. Il y a également beaucoup de choses moins récentes. Même s’ils ne sont pas très nombreux, plusieurs graffeurs brésiliens commencent à se soucier davantage du message qu’ils veulent faire passer par leurs dessins que du côté purement esthétique de leurs œuvres. Mais peut-être que c’est juste ce que moi j’aimerais voir…

JOL Press: Où puises-tu principalement ton inspiration ?
 

Paul ItoCertains de mes travaux se basent sur des choses ordinaires de la vie et du comportement humain. Parfois, je fais passer un message plus critique inspiré de la situation dans laquelle nous vivons. Dans ce cas-là, il est vraiment facile d’être inspiré par les problèmes que nous rencontrons au Brésil, qui sont nombreux.

JOL Press: Comment choisis-tu le mur ou l’endroit où dessiner ?
 

Paul ItoJ’ai l’habitude de dessiner dans la zone de l’ouest de São Paulo, et j’essaie de faire quelque chose en lien avec le lieu où se trouve le dessin et en même temps sur la base de la population qui vit dans ce quartier.

JOL Press: Quels artistes t’inspirent ?
 

Paul ItoJ’ai eu l’inspiration de dessiner ce garçon affamé après avoir vu le travail de l’artiste GOIN à Athènesen Grèce, intitulé « Need food not football ». J’ai également été influencé par des artistes de bandes dessinées, des illustrateurs ou des artistes conceptuels comme Lourenço Mutarelli, Quino, Jota ou Carlos Leon Ferrari.

JOL Press: Quelles devraient être, selon toi, les priorités du gouvernement de Dilma Rousseff ?
 

Paul ItoJe peux seulement répondre à cette question en tant qu’artiste, je ne suis pas économiste. Je sais que le gouvernement brésilien travaille mieux pour lutter contre la pauvreté par rapport aux gouvernements précédents. Mais je suis presque sûr que le Brésil pourrait faire encore mieux si la classe politique arrêtait de penser selon ses propres intérêts et selon le jeu politique.

JOL Press: Last but not least… Vas-tu regarder la Coupe du monde de foot, à la télévision ou en vrai ?
 

Paul ItoEh bien… Je regarderai probablement quelques matchs dans un bar. Je ne suis pas un grand fanatique, et le football n’est pas dans ma nature. Les rares fois où je suis allé voir un match de foot dans un stade, j’ai toujours manqué le but parce que je regardais du côté opposé…

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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