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Crédit Suisse: le secret bancaire helvétique est-il menacé?

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La banque a reconnu avoir aidé ses clients à mentir au fisc américain (shutterstock.com)

La banque Credit suisse a plaidé coupable lundi d’aide à l’évasion fiscale de riches clients américains et accepté de payer une amende sans précédent de 2,6 milliards de dollars aux autorités américaines. Quelles vont-être les conséquences pour le secret bancaire suisse ?

JOL Press : La banque Credit Suisse a été condamnée pour avoir incité des contribuables américains à échapper au fisc. Est-ce une première ?

Jérôme Lasserre Capdeville : Il y a déjà eu des précédents en la matière, notamment un cas qui concernait l’Union des Banques Suisses (UBS) qui avait été poursuivi un peu de la même façon en 2009. UBS avait été obligé de payer la somme assez importante de  780 millions de dollars. Mais à la différence su Crédit Suisse, UBS n’avait pas voulu plaider coupable et n’avait pas reconnu les faits que les autorités américaines lui reprochaient. Certaines banques américaines ont eu aussi des problèmes avec le fisc américain, je pense à J.P. Morgan, et n’ont jamais voulu reconnaître qu’elles étaient coupables.

L’affaire UBS avait défrayé la chronique parce que la menace américaine avait été particulièrement rude : les autorités américaines avaient menacé la banque de lui retirer sa licence américaine, c’est-à-dire l’autorisation de pouvoir exercer aux Etats-Unis, si elle ne changeait pas ses pratiques. Sous cette menace, UBS avait transmis aux autorités américaines une liste de 4000 noms d’Américains qui avaient des comptes en Suisse, une levée du secret bancaire autorisée par l’Etat suisse pour qu’UBS ne perde pas sa licence.

Comme dans le cas du Credit Suisse, les marchés avaient été un peu inquiets à l’époque mais ils ont été rassurés quand ils ont vu qu’on ne touchait pas à la licence américaine d’UBS, car cela aurait pu avoir des effets en chaîne, des effets que l’on appelle systémiques : la banque serait tombée et aurait entraîné d’autres établissements avec elle.

JOL Press : Que reproche-t-on concrètement au Credit suisse ?
 

Jérôme Lasserre Capdeville : On lui reproche d’avoir aidé des citoyens américains à frauder le fisc dans leur pays d’origine en leur donnant des conseils pour tronquer leur déclaration fiscale. Un des responsables de la banque a effectivement reconnu que sa banque « avait volontairement conseillé les clients à préparer des déclarations fiscales tronquées et échapper ainsi aux impôts aux Etats-Unis ».

JOL Press : Cette pratique est-elle rependue ?
 

Jérôme Lasserre Capdeville : Un certain nombre de banques ont eu recours à ces pratiques, UBS l’a fait un peu en son temps, le Crédit Suisse l’a fait… On ne peut pas dire que cette pratique soit rependue mais ce n’est pas la première enquête qui relève ce genre de fraudes. Certaines banques mettent à disposition de leurs clients des conseillers qui les informent sur les risques qui existent à déclarer ou pas certains biens ou revenus.

JOL Press : Se dirige-t-on vers la fin du secret bancaire en Suisse ?
 

Jérôme Lasserre Capdeville : La Suisse a fait d’énormes progrès depuis 2009. Depuis l’affaire UBS, il y a eu beaucoup de pression sur la Confédération helvétique qui a été amenée à transmettre des informations dans un nombre de cas toujours plus grand. Au début du mois de mai, la Suisse s’est engagée à pratiquer l’échange automatique d’informations bancaires, ce qui veut dire qu’à chaque fois qu’une banque aura des informations sur un ressortissant étranger, elle communiquera ces informations à l’administration fiscale, sans que l’administration fiscale étrangère vienne faire une demande. On se dirige vers cette évolution-là, même si on n’y est pas encore.

Par ailleurs, les Etats-Unis et la Suisse ont signé le FATCA, un règlement du code fiscal des États-Unis qui oblige les banques des pays ayant accepté un accord avec le gouvernement des États-Unis à signer avec le Département du Trésor américain un accord dans lequel elles s’engagent à lui communiquer tous les comptes détenus par des citoyens américains. C’est pour cette raison que les Suisses veulent de moins en moins des clients américains. En France le FATCA risque de s’appliquer aussi très bientôt, car nous avons signé ce texte il y a peu de temps.

JOL Press : La France est-elle aussi exigeante que les Etats-Unis en matière de fraude fiscale ?
 

Jérôme Lasserre Capdeville : En 2009, une convention importante a été signée entre la France et la Suisse pour favoriser la transmission des informations dans de plus en plus de cas. Il faut cependant bien comprendre qu’en Suisse, on fait une distinction entre le cas d’un citoyen qui n’aurait pas tout déclaré à son administration fiscale – ne pas tout déclarer n’est pas un délit pénal en Suisse – et celui qui n’aurait pas tout déclaré et qui aurait produit des faux. Dans ce dernier cas, la Suisse considère qu’il s’agit d’une escroquerie fiscale. Jusqu’à 2009, la Suisse n’acceptait de communiquer d’informations couvertes par le secret bancaire qu’en cas d’escroquerie fiscale. Lorsqu’il s’agissait de fonds qui n’avaient pas été déclarés la Suisse ne communiquait pas, elle ne coopérait pas.

Il a fallu une grosse pression sur la Suisse pour que celle-ci fasse évoluer son droit. Désormais, avec la France, elle communique des informations même lorsqu’il s’agit de fonds non déclarés. Si on prend le cas de l’affaire Cahuzac, il s’agissait bien de fonds non-déclarés, il n’y avait pas de production de faux dans ce dossier. Il faut malgré tout souligner que cette évolution est vraie sur le papier, dans les faits ce n’est pas si évident. Certes, dans l’affaire Cahuzac, ils ont répondu en une semaine, mais habituellement ce n’est pas le cas.

JOL Press : Le secret bancaire suisse a donc de belles années devant lui ?
 

Jérôme Lasserre Capdeville : Encore un peu, bien évidemment. Aujourd’hui, par exemple, la « pêche aux renseignements » est interdite. C’est-à-dire que vous ne pouvez pas prendre un établissement de crédit suisse au hasard en leur demandant si Monsieur Untel a un compte dans cet établissement. Il faut obligatoirement que vous ayez au préalable certains éléments. Cette « pêche aux renseignements » est une ultime limite que la Suisse pourra autoriser un jour, qui sait ? J’ai été très étonné d’apprendre que la Suisse était prête à pratiquer l’échange automatique d’informations bancaires. On peut donc s’attendre à de nouvelles évolutions. On aura toujours besoin d’un secret bancaire, dans tous les pays, mais il ne faut pas que ce secret serve à réaliser un certain nombre d’infractions pénales.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jérôme Lasserre Capdeville est maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’Université de Strasbourg. Il est spécialiste de droit bancaire et de droit pénal et l’auteur de nombreuses publications (ouvrages, articles, fascicules, notes) dans ces deux matières, dont Le secret bancaire : Approches nationale et internationale (La Revue Banque – janvier 2014).

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