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Damien Glez: «Le dessinateur de presse est un lanceur d’alerte»

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JOL Press : Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de dessiner ?
 

Damien Glez: L’envie de dessiner est d’abord une affaire de tempérament. J’étais un enfant timide, limite autiste. La solitude offre des plages pour les activités artistiques. La timidité conduit à des formes d’expression décalées. On commence à dessiner ce qu’on ne dit pas, puis, en grandissant, le goût pour l’actualité télescope l’habitude du dessin… Et on se met à faire du dessin de presse.

JOL Press: Quels sont les principaux obstacles auxquels sont confrontés les dessinateurs de presse au Burkina Faso ?
 

Damien Glez: Le dessinateur de presse, en particulier africain, est dans un étau entre pression économique et pression politique. Selon le PNUD, le Burkina Faso est l’un des cinq pays les plus pauvres de la planète. La presse n’a donc pas beaucoup de moyens à mettre dans l’illustration, ce qui fait que les dessinateurs burkinabè ont peu d’espace pour s’exprimer.

Sur le plan politique, la liberté est adolescente. La libéralisation de la presse date du début des années 90 et il faut toujours imposer le propos impertinent. Un journaliste burkinabè a été assassiné en 1998, une Commission d’enquête indépendante a désigné des membres de la Garde présidentielle comme suspects sérieux, mais aucun procès ne s’est tenu.

Il faudra encore quelques années pour que les réflexes de l’Etat d’exception disparaissent totalement, mais la chape de plomb n’est pas absolue au Burkina. Dans tous les pays, la liberté d’expression est un combat quotidien.

JOL Press : Quelle est la mission d’un dessinateur de presse selon vous ?
 

Damien Glez: Je crois que le dessinateur est un lanceur d’alerte. Il présente l’actualité de manière décalée pour susciter le débat, par l’humour, par l’indignation ou par toute forme de provocation. Il ne prétend pas donner de leçon, ni même offrir des solutions aux problèmes. Il pose les questions plus qu’il n’apporte les réponses.

Le dessin constitue une sorte d’accroche qui mène aux autres productions journalistiques. Parfois, dans des régimes où la parole est en partie muselée, il est le pionnier de l’impertinence. Il est souvent possible de dessiner ce qu’il n’est pas encore possible d’écrire, grâce aux biais du « cartoon », aux différents niveaux de langage de la satire, aux métaphores graphiques. Et aussi parce que, dans une certaine mesure, on pardonne ses mots déplacés au dessinateur comme au fou du roi…

JOL Press: Y-a-t-il des sujets tabous que vous vous interdisez d’aborder par peur de représailles ? Avez-vous déjà été victime de pressions ?
 

Damien Glez: En dehors de certains sujets politiques qui sont restés longtemps tabous, comme l’assassinat du président Thomas Sankara en 1987, le lectorat a parfois réagi négativement à des dessins à caractère sexuel ou utilisant l’imagerie chrétienne. Sur les dessins à caractère sexuel, j’ai compris que cette pudeur était profondément ancrée dans les mentalités sahéliennes, que ce soit dans l’humour, dans la littérature ou dans le cinéma. Et je ne cherche pas à faire de la provocation inutile. Toutefois, quand le sexe est un sujet d’actualité sérieux, il ne faut pas s’interdire de le représenter.

Par exemple, des croyances indiquent que certaines personnes sont capables de voler le pénis de quelqu’un. Cela a conduit au lynchage d’un individu à Koudougou, mi-mai. Il m’arrive alors de mettre les « pieds dans le plat », même si ça me vaut une réprimande du Conseil Supérieur de la Communication. Après, il faut savoir doser la provocation pour que le dessin ne soit pas contre-productif.

JOL Press : Selon vous, les dessinateurs sont-ils indispensables à la démocratie ?
 

Damien Glez: Sans doute. Sans dessin de presse, où se trouverait l’impertinence du propos ? Sans dessin de presse, qu’est-ce qui empêcherait la sacralisation des hommes politiques ? Le dessinateur n’est pas plus le garant de la démocratie que d’autres, comme les journalistes d’investigation, mais l’état du dessin de presse est un bon baromètre de la liberté d’expression, elle-même baromètre de la démocratie.

JOL Press : Un dessin, une caricature que vous gardez à l’esprit ?
 

Damien Glez: Le dessin qui démontre qu’il est contre-productif d’abuser de la répression date d’une Coupe de monde de football. J’avais dessiné le président Compaoré en tenue de footballeur, négociant avec le sélectionneur de l’équipe nationale, lui disant « il faut me sélectionner, je suis un bon buteur … Je bute beaucoup ».

C’est parce que les autorités m’ont convoqué pour ce dessin que c’est devenu une histoire relatée à longueur d’interviews, dans des conférences ou dans le film « Caricaturistes, fantassins de la démocratie » de Stéphanie Valloato, actuellement sur les écrans.

 

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