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Disparition de Souad Merah: un système anti-terroriste défaillant?

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Souad, l’une des sœurs de Mohamed Merah, auteur en mars 2012 des meurtres de trois parachutistes puis de trois enfants et d’un enseignant juifs au nom du djihad à Toulouse et Montauban, aurait disparu. En 2012, l’ancien chef de la DCRI, Bernard Squarcini, avait indiqué que Souad et Abdelkader Merah étaient perçus comme plus dangereux que leur frère Mohamed par les services de renseignement. Comment une disparition de ce type a donc pu être rendue possible ?

JOL Press : Comment est-ce possible qu’un individu dangereux disparaisse ainsi de la cSUirculation ?

Jean-Charles Brisard : Dans des cas comme celui de Souad Merah, nous avons affaire à des gens déterminés à mener le djihad et qu’ils soient surveillés ou non, on l’a vu dans le passé déjà avec d’autres personnes notamment Mohamed Merah, ils feront tout pour arriver à leur fin. Souad Merah a réussi à échapper volontairement aux dispositifs de surveillance dont elle faisait l’objet, elle n’est pas la seule, malheureusement.

JOL Press : Comment s’organise la surveillance d’individus dits dangereux dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en France ?

Jean-Charles Brisard : Généralement, à l’égard des personnes les plus dangereuses, les autorités mettent en place une surveillance physique, à temps complet, par une équipe de 15 à 20 personnes, et une surveillance électronique qui épie les communications téléphoniques mais aussi les différentes activités sur Internet. Mais cette surveillance ne peut pas garantir à 100% que la personne dite dangereuse n’échappe pas à la vigilance des services de renseignements. Si elle en a la volonté, si elle est déterminée, si elle en a les moyens également, elle pourra échapper à cette vigilance.

JOL Press : Souad Merah était perçue comme plus dangereuse que son frère Mohamed par les services de renseignement. N’y a-t-il pas des moyens de surveiller avec encore plus d’attention ce type d’individu ?

Jean-Charles Brisard : On ne peut pas appliquer de surveillance au-delà des limites que la loi autorise. Dès lors qu’elle a été mise en examen et interrogée, dans le cadre de différentes procédures, et qu’au final elle n’a pas pu être poursuivie, elle est remise en liberté. A partir de là, on applique à son endroit une surveillance car on peut craindre de sa part des actes violents, mais encore une fois le risque zéro n’existe pas. Les personnes déterminées se donnent les moyens d’échapper à ces surveillances.

JOL Press : Selon certaines sources, elle aurait retrouvé « son nouveau compagnon », qui a déjà quitté la région afin de rejoindre la Syrie. Croyez-vous à une telle hypothèse ?
 

Jean-Charles Brisard : C’est une hypothèse effectivement vraisemblable. Elle a été mariée à un individu qui était lui-même extrêmement radicalisé et qui avait formulé le souhait de se rendre en Syrie. Il est donc tout à fait probable qu’elle se soit elle-même rendue en Syrie, par la Turquie.

C’est un phénomène auquel on assiste en ce moment : de plus en plus de femmes partent, parfois avec tous leurs enfants, pour rejoindre leur mari sur place et mener le djihad. Un phénomène nouveau d’une ampleur sans précédent. Si l’information est confirmée ce ne serait pas étonnant dans la mesure où elle fait partie de ces personnes ultra-radicalisées. On estime à presque un millier, le nombre de musulmans radicalisés qui se sentent prêts à mener ce type d’action à l’étranger aujourd’hui, peut-être en France demain.

JOL Press : Que font les femmes sur place en Syrie ?
 

Jean-Charles Brisard : Les femmes sont là pour assister les hommes, leurs maris essentiellement. C’est un rôle d’accompagnement et de soutien qui est très important et qu’il ne faut pas négliger. C’est pour cette raison qu’on peut penser que certaines femmes seront poursuivies pénalement à raison de leur complicité avec des djihadistes sur place.

JOL Press : Si Souad Merah revient en France après un séjour en Syrie, quels dispositifs seront mis en place ?
 

Jean-Charles Brisard : Si cette hypothèse de la Syrie s’avère exacte et qu’elle revient en France, Souad Merah sera immédiatement mise en examen en raison de sa participation vraisemblable sur place à l’action de djihadistes au sein de groupes terroristes. Dans ces cas-là, elle tombera sous le coup de la loi puisque depuis décembre 2012, on peut poursuivre plus efficacement les personnes ayant participé à des camps d’entraînement terroriste à l’étranger alors même qu’elles n’ont pas commis d’actes répréhensibles sur le territoire français.

JOL Press : Peut-on imaginer que les services secrets aient laissé partir Souad Merah afin de mieux infiltrer les réseaux terroristes ?

Jean-Charles Brisard : Je crois que connaissant son passé et son entourage, je pense notamment à son frère Abdelkader Merah maintenu en détention pour complicité des assassinats commis par son frère, les services français n’ont aucun intérêt à laisser dans la nature, sans surveillance, une personne comme celle-là qui aurait été capable sur le territoire national de se livrer à des activités dangereuses et qui, a fortiori, le ferait à l’étranger.

JOL Press : Les services secrets français sont-ils débordés ?
 

Jean-Charles Brisard : Les services spécialisés, les services de police, de renseignement et les services judiciaires, font effectivement aujourd’hui face à un phénomène d’une ampleur tout à fait exceptionnelle et c’est la raison pour laquelle ils réclament à la fois plus de moyens humains et de moyens techniques mais surtout une amélioration de la loi qui permettrait de prendre en compte ces départs de djihadistes en très grand nombre de manière préventive et précoce.

JOL Press : Selon vous, quelles sont les défaillances du système actuel ?
 

Jean-Charles Brisard : Nous étions dans un système qui était là pour prévenir et lutter contre des organisations terroristes. Aujourd’hui, nous avons affaire à des processus ou à des trajectoires beaucoup plus individuels ou micro-cellulaires et il faut s’adapter à cette réalité. On n’a pas aujourd’hui les moyens d’appréhender une personne dans son coin, seule, qui déciderait de planifier un déplacement pour le djihad en Syrie ou qui voudrait commettre un attentat en France. On n’a pas les moyens aujourd’hui, concrètement, sur le plan judiciaire d’arrêter cette personne et c’est quelque chose qu’il faut absolument faire évoluer.

Il s’agit d’une vraie demande de la part des praticiens. Le 25 avril dernier, nous avons signé, avec le juge Marc Trévidic et l’avocat Thibault de Montbrial, une tribune dans le Figaro, pour dénoncer le vide juridique qui empêche pour l’instant de neutraliser préventivement les départs individuels de djihadistes et la préparation d’actes terroristes. Cette tribune suggéraient notamment la « création d’un délit-obstacle faisant interdiction à un Français de combattre à l’étranger sans autorisation », mesure destinée à marquer « la détermination de la France à éradiquer le phénomène djihadiste en Syrie, comme ailleurs dans le monde ». Nous devons nous adapter à la réalité de la menace terroriste que l’on connaît aujourd’hui.

JOL Press : Si ce vide juridique avait été comblé, Souad Merah aurait pu être interceptée avant de disparaitre, selon vous ?

Jean-Charles Brisard : Une vigilance accrue est demandée par des mesures internes mais la coopération internationale doit devenir aussi de plus en plus effective afin que les personnes suspectées d’actes de terrorisme puissent être interceptées. Je crois qu’à l’avenir il faudra améliorer le dispositif français mais aussi le dispositif de coopération au niveau européen.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-Charles Brisard a été nommé enquêteur en chef dans le cadre d’une procédure judiciaire internationale pour les familles des victimes des attentats du 11 septembre. Auteur du premier rapport mondial sur les réseaux financiers d’Oussama Ben Laden, Jean-Charles Brisard est reconnu comme un expert et un enquêteur spécialisé dans le domaine du terrorisme, du financement du terrorisme et de la lutte contre le blanchiment.

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