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Élections sud-africaines: Jacob Zuma, adoré et haï

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JOL Press : L’ANC de Jacob Zuma est donné vainqueur aux élections législatives en Afrique du Sud. Pourquoi l’opposition ne parvient-elle pas à percer ?
 

Marianne Séverin : En même temps que les élections nationales qui se tiennent aujourd’hui ont lieu des élections provinciales. Il faut tout de même noter que sur les neuf provinces d’Afrique du Sud, une province est gouvernée par l’Alliance démocratique (AD), principal parti d’opposition, et non par le Congrès national africain (ANC), au pouvoir depuis 1994.

Mais si l’opposition perce légèrement au niveau provincial, c’est vrai qu’elle a du mal à se faire entendre au niveau national. L’opposition sud-africaine est en effet divisée et le premier parti d’opposition ne représente pas vraiment le pays. Il faut également rappeler que c’est l’ANC qui a mené la lutte anti-apartheid et qui y a mis fin, officiellement, il y a vingt ans. Il continue donc de jouir d’une grande popularité.

JOL Press : Pourtant, son président, Jacob Zuma, a été accusé de corruption et plusieurs scandales ont éclaté depuis son arrivée au pouvoir. Malgré ces accusations, pourquoi est-il encore populaire ?
 

Marianne Séverin : Il faut à ce titre préciser que ce scrutin vise d’abord à élire un parti et non un président. C’est le parti majoritaire qui choisira alors son président. L’ANC de Jacob Zuma arrive en effet en tête, crédité à plus de 60% dans les sondages. En dépit de sa manie de confondre son porte-monnaie avec les caisses de l’État, Jacob Zuma a un parcours assez riche en politique.

Il a mené la lutte anti-apartheid et les négociations qui ont permis à l’Afrique du Sud d’être ce qu’elle aujourd’hui, c’est-à-dire un pays qui n’a pas explosé. L’histoire retient trop souvent la seule figure de Nelson Mandela dans cette lutte, mais plusieurs personnalités ont combattu contre la politique de discrimination.

L’ancien président Thabo Mbeki [au pouvoir de 1999 à 2008, ndlr] et Jacob Zuma ont travaillé pour calmer le jeu avec le parti d’opposition Inkatha [le Parti de la liberté, parti conservateur à dominante zouloue, ndlr] qui faisait preuve d’une violence extrême vis-à-vis des l’ANC entre 1990 et 1994, donc pendant les négociations. Jacob Zuma est quelqu’un qui sait rassembler les foules, mais il n’est plus aussi populaire qu’avant.

Les gens ont été extrêmement scandalisés par la tuerie de Marikana en août 2012 où 34 mineurs ont trouvé la mort dans les mines. Cet événement a été assez mal géré par le gouvernement, rendu responsable de l’accident. L’accusation pour viol – il a été acquitté – puis celle pour corruption – il a agrandi et sécurisé sa maison privée avec des fonds publics – ont contribué à ternir son image.

JOL Press : Il a néanmoins beaucoup œuvré dans la lutte contre le sida…
 

Marianne Séverin : C’est en effet un des présidents qui, paradoxalement, a alloué le budget le plus important à la lutte contre le sida. Pourtant, lorsqu’il a été accusé de viol, malgré son acquittement, il a scandalisé la population lorsqu’il a avoué que la relation qu’il avait eue avec une jeune femme séropositive était non protégée, et lorsqu’il s’était défendu en disant qu’il avait tout de même « pris une douche » après… Cette réponse a fait très mauvais effet, quand on sait que le taux de prévalence du sida en Afrique du Sud est plus qu’élevé.

Jacob Zuma, qui fait régulièrement son test HIV et montre bien qu’il est séronégatif, a néanmoins mené une politique assez forte en faveur de la lutte contre le sida, ce qui n’avait pas été vraiment le cas de son prédécesseur Thabo Mbeki.

Lorsque Nelson Mandela était au pouvoir, lors des premières années, il n’avait pas non plus beaucoup appuyé la lutte. Il en a pris conscience ensuite puisque lui-même a été touché par le drame lorsqu’un de ses petits-fils est mort du sida. À travers ses associations caritatives, Mandela a alors beaucoup œuvré pour la lutte contre cette maladie qui est un véritable fléau en Afrique du Sud, même s’il y a eu des progrès, et pour que l’on puisse pousser la recherche.

JOL Press : Quel bilan économique peut-on dresser depuis son arrivée à la tête de l’État sud-africain en 2009 ?
 

Marianne Séverin : Jacob Zuma n’est pas responsable de la crise économique qui a frappé l’Afrique du Sud. Il faut rappeler que le premier partenaire commercial de l’Afrique du Sud, c’est l’Europe. Or en 2008, l’Europe a été frappée par la grave crise financière mondiale. Par ricochet, l’Afrique du Sud a été malmenée. Jacob Zuma a néanmoins beaucoup poussé à ce que l’Afrique du Sud fasse partie du groupe des pays émergents des BRICS [Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud].

On ne peut pas non plus le tenir responsable des grèves dans les mines : le gouvernement est accusé de ne rien faire, mais la Constitution reconnaît le droit de grève donc si l’État intervient trop, il sera considéré comme un État dictateur qui ne respecte pas ce droit. Par contre, ce que l’on peut reprocher à Jacob Zuma c’est d’avoir mis à la tête de certains ministères des gens incapables de gérer correctement leurs affaires, et de ne pas les avoir renvoyés.

JOL Press : Vingt ans après la victoire de Nelson Mandela, les inégalités sont encore flagrantes en Afrique du Sud. Qu’est-ce qui freine aujourd’hui l’égalité ?
 

Marianne Séverin : Les problèmes d’inégalités durent depuis bien plus longtemps que la période d’apartheid. On dit toujours que l’apartheid a duré cinquante ans mais l’Afrique du Sud a longtemps été colonisée. Et qui dit colonialisme dit discrimination raciale, économique et sociale. Il est difficile de régler en 20 ans des problèmes qui existent depuis un siècle.

Un exemple symbolique est la réforme agraire, extrêmement difficile à mener et à appliquer en Afrique du Sud. Le problème récurrent de la redistribution des terres vient d’une loi foncière qui date de 1913 et qui donnait la majorité des terres – les meilleures – à une minorité (c’est-à-dire aux blancs et notamment aux Afrikaners). Toutes les terres arides revenaient à la majorité de la population, c’est-à-dire à la population noire.

Aujourd’hui, les noirs qui sont de plus en plus impatients demandent une meilleure redistribution des terres. Le parti d’opposition de Julius Malema explique notamment qu’il faudrait faire comme au Zimbabwe : exproprier les fermiers blancs sans compensation. Mais l’ANC n’a pas envie d’en arriver ce stade. Un des autres problèmes qui se posent encore aujourd’hui est qu’on demande toujours aux sud-africains noirs de faire des efforts et d’être patients. Mais quand vous demandez à des fermiers blancs de redistribuer des terres, de travailler avec les noirs, de partager, ils ne veulent pas, parce qu’ils ont toujours en tête que ce sont leurs terres, que les Sud-Africains noirs considèrent comme des terres « volées ». Mais tant qu’il n’y aura pas de justice sociale et économique, il n’y aura pas de pardon.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Marianne Séverin est politologue, chercheure associée et consultante Afrique du Sud au LAM (Les Afriques dans le Monde) de Science Po Bordeaux. Spécialiste de l’Afrique du Sud et du leadership du Congrès national africain (ANC), elle est l’auteur d’une thèse sur « Les réseaux ANC (1910-2004). Histoire politique de la constitution du leadership de la nouvelle Afrique du Sud ».

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