Site icon La Revue Internationale

Festival de Cannes: quel business derrière les paillettes?

[image:1,l]

La 67e édition du Festival de Cannes se tiendra du mercredi 14 mai au dimanche 25 mai 2014 (shutterstock.com)

Le Festival de Cannes sera présidé par la réalisatrice, productrice, scénariste néo-zélandaise et lauréate de la palme d’or pour son film la Leçon de Piano, Jane Campion. Mais derrière la montée des marches, un marché s’organise : l’année dernière, quelque 5400 films y avaient été présentés pendant une dizaine de jours. Comment Cannes est-il devenu un rendez-vous incontournable pour l’industrie du cinéma ?

JOL Press : Comment le festival de Cannes est-il devenu le 1er marché international du film ?
 

Isabelle Danel : Le festival et le marché sont indissociables, l’un s’assied sur l’autre et réciproquement. Le festival de Cannes est le seul à être aussi bien un grand festival qu’un grand marché. La Mostra de Venise, qui est le plus ancien festival cinématographique au monde, reste un festival plus petit. Et le Festival international du film de Berlin prend de l’ampleur mais n’atteint pas ce qu’atteint Cannes, en termes de nombres de films présentés. Il n’y a pas qu’explication mécanique à cela.

Depuis sa création en 1946, le festival de Cannes n’a cessé de croître et comme le cinéma est un art mais aussi une industrie, le développement du festival a entraîné un développement du marché du film à Cannes. On ne montre pas des films uniquement pour présenter des artistes à Cannes mais aussi et surtout pour les vendre.

JOL Press : Comment expliquer le succès de Cannes en particulier ?

Isabelle Danel : Se sont greffées très vite autour de cette manifestation plusieurs sections, comme la Semaine de la critique (créée en 1962) ou la Quinzaine des réalisateurs (créée après les événements de mai 68). Si bien que c’est tout naturellement que s’est développé le marché du film de Cannes. Créé, au départ pour tisser des liens entre les peuples, le festival a été au cœur d’enjeux politiques, puisque c’étaient les pays qui envoyaient leurs films, mais aussi économiques. Cannes a su mélanger le glamour et le financier de façon intime et intelligente. On ne saurait l’expliquer, cela relève plus de l’alchimie que du calcul. Berlin et Venise aimerait connaître le même succès, ce n’est pas le cas.

Par ailleurs, aucun aspect du cinéma n’a jamais été méprisé à Cannes : on y retrouve du cinéma grand public et du cinéma d’auteur.

JOL Press : Derrière les paillettes et la montée des marches, comment s’organise ce marché ?
 

Isabelle Danel : La rencontre entre les acteurs du marché du film se prépare en amont et se concrétise dans des endroits qu’on ne voit pas à la télévision, ni même quand on vient à Cannes en tant que visiteur. Le marché du film est une immense ruche où se rencontrent des tas de projets, d’un synopsis et trois photos à une partie de film tourné mais pas encore terminé. Une seule minute du film d’Olivier Dahan avec Marion Cotillard en Edith Piaf, projeté pendant le festival, a suffi pour vendre le film à un très grand nombre de pays, un an avant sa sortie officielle.

En outre, un certain nombre d’outils sont mis en place comme des agendas ou des annuaires afin de permettre à tous ces acteurs de l’industrie du cinéma de se retrouver dans les sous-sols du Palais des Festivals mais aussi au sein de l’espace Riviera ou au Village International.

JOL Press : Peut-on chiffrer le montant de ces transactions ?
 

Isabelle Danel : Si le volume du chiffre d’affaires brassées chaque année est difficile à déterminer, il est estimé aux alentours du milliard de dollars. Cependant ces estimations ne sont pas vérifiables.

JOL Press : Combien de professionnels le Marché du Film rassemble-t-il ?
 

Isabelle Danel : Si on reprend les chiffres du festival, sur près de 30 000 professionnels présents sur place en 2013, on comptait environ 1200 acteurs et réalisateurs, 4500 distributeurs et 4900 producteurs.

JOL Press : Un jeune réalisateur peut-il espérer trouver des financements à Cannes ou l’entrée sur le marché est très sélect ?
 

Isabelle Danel : Ce n’est pas tant que le marché est sélect, mais les acteurs de cette économie sont très occupés. Les enjeux sont tels que tous les rendez-vous sont préparés bien à l’avance. Elle est loin l’époque où les meilleurs contrats se signaient au Blue Bar, autour d’un cocktail après s’être croisés sur la croisette. Quelques vieux journalistes se souviennent avoir discuté avec Jean Cocteau alors qu’il était président du jury, mais cette époque est révolue : les journalistes ne croisent plus les producteurs et les acteurs aussi facilement.

Un jeune réalisateur qui souhaiterait vendre un projet peut passer désormais par la Cinéfondation, créée en 1998, qui sélectionne un vingtaine de courts et moyens métrages présentés par des écoles de cinéma de tous pays chaque année. Mais s’il arrive de nulle part, sans connaître personne, en espérant faire l’affaire du siècle à Cannes, il lui faudra beaucoup de chance pour parvenir à ses fins. C’est beaucoup plus difficile aujourd’hui que cela ne l’a jamais été. En tant que journaliste, je ne peux pas espérer cette année croiser et discuter avec Jane Campion qui présidera le jury. Le culot peut payer, on peut approcher des acteurs lors de soirées, mais ces tentatives ont très peu de chances d’aboutir.

JOL Press : Avez-vous quelques anecdotes de contrats célèbres signés lors d’un festival de Cannes ?
 

Isabelle Danel : Un tas d’histoires circulent qui relèvent pour la plupart de la légende. On raconte que Jean-Luc Godard aurait signé le contrat pour son film le Roi Lear, avec deux grands producteurs, Menahem Golan et Yoram Globus, sur une nappe en papier dans un restaurant cannois. Ce qui est certain, c’est que les rencontres et les contrats qui sont signés au cours de ce festival sont innombrables. Mais, il faut se méfier, il y a beaucoup d’effets d’annonces à Cannes, depuis toujours…

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Isabelle Danel est journaliste depuis 1983. Spécialisée dans le cinéma, elle a collaboré à de nombreux hebdomadaires et mensuels (Télérama, L’Evénement, DS, Je Bouquine, Okapi…) et écrit actuellement pour le Magazine Première. Elle a collaboré au fil des ans à L’Année du Cinéma (Editions Calmann Lévy) et est l’auteur de En haut des marches, le cinéma (Les carnets de l’info – mars 2007).

Quitter la version mobile