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Fin de la «dynastie» Gandhi: Narendra Modi change le visage de l’Inde

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Narendra Modi, nouveau Premier ministre indien, élu le 16 mai 2014. (Crédit photo: Arindambanerjee / Shutterstock.com)

JOL Press : Narendra Modi est arrivé largement en tête du scrutin législatif indien. À quoi doit-il notamment cette victoire ?
 

François Gautier : Sa victoire avait été prévue par tous les derniers sondages, qui lui donnaient entre 250 et 280 sièges, et il a effectivement franchi le cap des 272 sièges sur 543. Narendra Modi a énormément fait campagne : l’Inde est un pays très grand, il a donc fait beaucoup de déplacements en avion, en hélicoptère ou en voiture.

Il avait des bons stratèges, et a su surfer sur la popularité des réseaux sociaux auprès des jeunes. Il a été très présent sur Twitter ou Facebook, a fait beaucoup de « selfies »… Et a gagné une grande partie de la jeunesse. Il faut rappeler qu’il y avait en effet plus de 100 millions de nouveaux électeurs lors de cette élection, des jeunes de 18-23 ans dont la voix a beaucoup pesé.

JOL Press : Doit-on parler de « défaite cuisante » du Parti du Congrès ?
 

François Gautier : Oui c’est une défaite cuisante, surtout parce que le Parti du Congrès gouverne l’Inde pratiquement sans interruption depuis l’Indépendance. M. Nehru fut le premier des Premiers ministres, sa fille Indira a ensuite régné sur l’Inde d’une main de fer. Le fils d’Indira, Rajiv, a également été Premier ministre et sa femme Sonia, italienne naturalisée indienne, a eu une emprise énorme pendant ces dix dernières années.

Manmohan Singh était Premier ministre, mais le vrai pouvoir en Inde était dans les mains de Sonia Gandhi. Pour la dynastie Gandhi, dont le petit dernier est Rahul, c’est une grosse défaite. Beaucoup d’observateurs en Inde pensent qu’elle ne s’en relèvera pas. Seule la fille de Sonia, Priyanka, qui a plus de charisme et est plus médiatique que son frère, pourrait éventuellement être la relève du Congrès.

JOL Press : Que faut-il retenir des dix ans de Manmohan Singh à la tête du pays ?
 

François Gautier : Malheureusement beaucoup de corruption, des grands scandales d’État, des milliards d’euros de pots-de-vin pour la téléphonie, le charbon, les Jeux du Commonwealth, la chute de la roupie et de la croissance indienne qui allait égaler la Chine. Elle était à 9% et a chuté à 4,5%. Le socialisme de Manmohan Singh était plein d’idéalisme. À coups de grandes subventions, il a appauvri l’État, n’a pas enrichi les pauvres mais plutôt les riches.

C’est pour cela que la communauté des hommes d’affaires et les grands groupes indiens ont toujours voté pour M. Modi qui avait fait de son État, le Gujarat, un État où l’étatisme était moins fort, et où les grands patrons se sont implantés avec succès depuis dix ans. M. Modi a donc su gagner, par son gouvernement au Gujarat, la communauté des hommes d’affaires indiens.

JOL Press : Quelles sont les grandes lignes du programme de Narendra Modi ?
 

François Gautier : La première chose qu’il doit faire, c’est rassurer toutes les minorités en Inde, musulmans et chrétiens. Leur montrer qu’il est un Premier ministre pour tous les Indiens et pas seulement pour les hindous – puisqu’il a quand même été élu en grande partie par les voix des hindous, de haute et de basse caste.

Sa deuxième tâche sera de relever l’économie. Pour cela, il va devoir améliorer les infrastructures indiennes qui sont encore loin derrière celles de la Chine : les trains font toujours du 50 km/h, les routes sont en très mauvais état, il y a un manque d’aéroports, les avions sont devenus très chers…

L’Inde est un pays surtaxé : il va donc probablement alléger l’imposition et libéraliser l’économie parce quil n’est pas facile, pour les investisseurs étrangers, d’investir en Inde. Il y a énormément de règles et de bureaucratie. Ce sont les premières des nombreuses tâches auxquelles il doit désormais s’atteler.

JOL Press : Le parti Aam Aadmi, parti anti-corruption, a été présenté comme la troisième voie pendant la campagne. Quel est son poids électoral aujourd’hui ?
 

François Gautier : L’Aam Aadmi a un poids très important, d’autant plus qu’il est né en seulement quelques mois, alors qu’en Inde, le Parti du Congrès et le Bharatiya Janata Party (BJP) règnent depuis l’indépendance. L’Aam Aadmi, sur sa seule volonté de débarrasser l’Inde de la corruption, a pu être élu : ils ont récemment fait de très bons scores lors d’élections locales à Delhi. Ils n’ont pas fait aussi bien aux élections législatives, mais ils représentent bien le troisième parti en Inde et une alternative aux deux partis traditionnels.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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François Gautier est un écrivain, journaliste et photographe français, spécialiste de l’Inde. Il fut correspondant en Inde et en Asie du Sud du Journal de Genève pendant 15 ans puis du Figaro pendant huit ans. Il a notamment publié Quand l’Inde s’éveille, la France est endormie, Éditions du Rocher, 2012.

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