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Hitler? «Arrogant et antipathique. Très antipathique. Répugnant!»

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« Avez-vous vu Hitler ? » Voici donc les réponses d’Allemands et d’Allemandes anonymes de toutes origines, tous âges, toutes appartenances sociales, qui, en quelques phrases, racontent où et comment ils ont vu Hitler, entre le début des années 1920 et 1945. On y saisit des bribes fortuites de ses débuts obscurs, on le voit devenir l’homme politique omniprésent des campagnes électorales incessantes sous la république de Weimar, et enfin un dictateur triomphant jusqu’à la guerre. On y découvre comment les Allemands ont vécu cette époque et comment ils vivent avec son souvenir dans les années 1970.

Extraits de Avez-vous vu Hitler ? de Walter Kempowski (Nouveau Monde – mars 2014)

Professeur, 1907

Hitler ? Oui, et je vous le raconte volontiers. Ceci dit, je l’ai seulement vu, je ne lui ai pas parlé. C’était à Weimar en 1933, où j’étais professeur stagiaire au lycée. Par une de mes connaissances, j’étais en relations avec Mme Förster- Nietzsche[1] et j’avais l’autorisation d’aller aux archives Nietzsche et d’y consulter les manuscrits. Un jour d’été, je m’y suis rendu comme d’habitude et un vieux serviteur qui me laissait toujours rentrer m’a dit : « Herr Doktor, vous ne pouvez pas venir maintenant, Hitler arrive dans quelques minutes. »

[image:2,s]Je suis resté à la porte du jardin car ça m’intéressait de le voir. Hitler venait en visite chez Mme Förster-Nietzsche toutes les fois qu’il passait à Weimar. Deux ou trois personnes sont arrivées entre-temps. Une Mercedes découverte a fait son apparition, avec un SS à l’avant et Hitler en civil à l’arrière avec un autre SS, je crois. Tout s’est passé très vite. Il est descendu, les autres aussi, quelqu’un l’a débarrassé de son manteau. Il tenait son chapeau derrière lui et comme personne ne se précipitait pour le prendre, il a jeté un regard fâché autour de lui. J’ai pensé : « Bon sang ! »

Il s’est dirigé vers la maison. Mme Förster-Nietzsche l’attendait à la porte avec la coiffe noire qu’elle portait toujours et l’a salué en faisant le salut hitlérien. Il est entré dans la maison. Et j’ai remarqué que je m’attendais à une allure militaire, rigide, mais que c’était tout le contraire. Il traînait de façon indisciplinée, les épaules relâchées de droite et de gauche, sans contenance. Si relâché que j’ai pensé que c’était un homme dirigé par je ne sais quelles forces bizarres.

J’ai attendu qu’il ressorte. Un petit groupe s’était rassemblé, on avait ramené des petites filles du voisinage avec des bouquets de fleurs.

Il est sorti au bout de vingt minutes, il a vu ce qui se passait, il est allé vers les enfants d’une allure devenue beaucoup plus raide, s’est fait remettre les fleurs, a tapoté les enfants sur les joues comme on l’a vu des milliers de fois sur les photographies, a sauté dans son auto et est reparti.

Technicien du bâtiment, 1899

Je l’ai vu une fois après la prise du pouvoir. Il donnait l’effet d’être suffisant et hautain. Arrogant. Naturellement, c’était après l’accession au pouvoir. Théâtral, de par son uniforme, ses pantalons noirs, sa veste brune, et là-dessus en plus encore une casquette militaire, genre casquette de général. Quand je dis théâtral, je ne veux pas dire clownesque, ou frelaté, surtout pas. Il était conscient de son pouvoir. Il m’est apparu arrogant et antipathique. Très antipathique. Répugnant ! Pas aimable ou abordable comme pouvait l’être Göring. Effrayant, c’est le mot, c’était mon impression. Cela vient peut-être de ce que j’étais syndiqué, de mon appartenance au mouvement ouvrier, et de mes sympathies de gauche, j’étais au parti des travailleurs socialistes[2]. J’avais vu comment cela avait tourné en mars 1933. Comment les militants avaient été arrêtés les uns après les autres et lourdement condamnés.

Enseignante, 1925

Mon père était conseiller municipal et on savait qu’il ne votait pas pour les nazis. J’ai encore un souvenir de 1933. Des hommes en civil qui portaient des feutres sont entrés et ils ont fait tomber en les balayant du bras tous les livres d’enfants qui étaient sur mon étagère. Un peu avant, je crois, il s’est passé la chose suivante : j’avais eu en cadeau une maison de poupée. Elle était dans un coin de la pièce et je venais de la regarder quand une bouteille avec un message dedans, des menaces, est arrivée par la fenêtre, en plein sur la maison de poupée.

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Walter Kempowski (1929-2007), écrivain allemand, né à Rostock, fut arrêté en 1948 par les services soviétiques pour espionnage au profit des Américains. Libéré en 1956, il revint à Hambourg et s’engagea dans une carrière d’écrivain. On lui doit une quarantaine de romans. Il est célèbre pour avoir recueilli et publié une monumentale collection (plus de 3 000 pages) de témoignages sur l’époque nazie, Echolot (en français «sonar»), faite de centaines d’écrits personnels (lettres, pages de journaux intimes…).

[1] Nom d’épouse de Therese Nietzsche (1846-1935), sœur du philosophe Friedrich Nietzsche. Mariée à un activiste antisémite, veuve depuis 1889, détentrice des archives de son frère, gardienne et falsificatrice de son oeuvre. Adhère au parti nazi en 1930. Ses funérailles à Weimar en 1935 seront honorées par la visite de Hitler.

[2] Sozialistische Arbeiterpartei (SAP) : organisation née en 1931 du rassemblement d’une fraction de gauche exclue du parti socialiste (SPD) et de groupes communistes dissidents du KPD sur une ligne d’union antinazie des forces de gauche, qui resta active dans la résistance et dans l’exil après 1933.

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