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Il y a 100 ans, Charlie Chaplin donnait naissance à Charlot

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JOLPress : Qui était Charlot ? 

Christian Viviani : On l’a appelé Charlot mais Charlie Chaplin l’avait appelé the Tramp (le vagabond). C’est un personnage assez flou, assez peu défini, qui se présente comme un vagabond. Et pourtant, il ne vagabonde pas tant que ça puisque, dans chacun des courts métrages, Charlot se retrouve dans une situation ou dans un métier nouveau. C’est un personnage un peu à la guignol. Tout comme il y a guignol aux courses, guignol fait du théâtre, Charlot change de métier, de rôle, d’un film à l’autre. Quand on regarde un film avec lui, on n’a pas besoin de savoir ce qu’il s’est passé dans le film précédent. On repart à zéro, à partir du personnage. C’est donc un personnage relativement flou, qui va s’adapter à un foule de situations qui vont devenir de plus en plus complexes, de plus en plus dramatiques : la ruée vers l’or, le nazisme,…

Ce qui va lui permettre d’adapter Charlot à toutes ces situations c’est justement le côté indéfini du personnage.

Pourquoi, par exemple, Charlot qui est défini comme un vagabond, est-il, dans certains courts métrages, un homme du monde ? C’est pourtant Charlot. Au départ, c’est un personnage et après, les contours du personnage se précisent et deviennent extrêmement nets. Charlie Chaplin en a conscience à partir du  moment où il se lance dans le long métrage. A ce moment-là, Charlot devient la représentation éternelle du petit homme face au monde complexe, difficile… et c’est le courage du petit homme qui est toujours exalté à travers Charlot.

JOLPress : Peut-on parler de modernité dans la démarche de Charlie Chaplin ?

Christian Viviani : Non. A mon sens il n’y a pas de modernité du tout. Il était tout à fait classique. Pour un comique au cinéma, c’était un peu la continuation de la tradition théâtrale de se créer un personnage. Il s’est donc inscrit dans la tradition. Maintenant, si modernité il y a, c’est surtout dû à l’art de l’acteur, de l’acrobate, du danseur et du metteur en scène. Il a su créer un rapport privilégié avec le spectateur mais, au départ, ce n’était pas une démarche particulièrement originale, c’était la tradition du music-hall anglais dans laquelle il avait grandi.

Début du cinéma et burlesque

Au début du cinéma, on travaillait essentiellement avec des formats de courts métrages, c’est-à-dire de films d’une dizaine de minutes. Les gens n’allaientt pas au cinéma voir un film, ils allaient au cinéma où on leur proposait un programme avec des films extrêmement différents les uns des autres. Il y avait une comédie, un film pour les enfants, un film pour pleurer… le film burlesque était l’une de ces catégories. Il s’agissait avant tout de satisfaire un public aussi vaste que possible et donc d’offrir un programme qui était constitué de toutes les tendances existantes pour toucher tous les âges et répondre à toutes les demandes.

JOLPress : Qu’est-ce qui a fait le succès de Charlot ?

Christian Viviani : Ce qui a fait la différence par rapport à ses contemporains, c’est surtout le fait que, très très vite, il va sortir du simple cliché du clown ou du bouffon et y ajouter des éléments humains, parfois même presque mélodramatiques. Le personnage va ainsi gagner une humanité tout à fait inhabituelle dans ce genre-là. On est alors plus uniquement dans la caricature…

Un enfant de la balle

Il faut savoir que Charlie Chaplin est quelqu’un qui apprend sur le tas. C’est un enfant de la balle qui a commencé à faire du théâtre quand il avait 8-10ans. La sanction c’était toujours la réaction du public. Il a donc été habitué à chercher son retour et ce même quand il a raffiné son art, qu’il est devenu plus exigent et qu’il a traité des sujets plus graves.

JOLPress : Quel est le marketing à l’origine du succès de Charlot ?

Christian Viviani : C’est vrai qu’ils ont rapidement sorti des produits dérivés du personnage. C’est un des premiers effets de marketing cinématographique. Il y a eu des bandes dessinées, des figurines à son effigie et ce que l’on réalise mal c’est à quelle allure la popularité de Charlot s’est déployée. Il a été l’un des premiers à en bénéficier et ça a été très vite. En l’espace de quelques mois, il est devenu un des hommes qui gagnaient le plus d’argent au monde, uniquement par son salaire.

A l’époque il n’était pas encore son propre producteur. Il dépendait de maisons de production et de studios différents. Il en a changé plusieurs fois jusqu’à ce qu’il devienne son propre producteur en 1921, avec The Kid.

JOLPress : A-t-il rencontré des problèmes face à ses engagements politiques ?

Christian Viviani : Il a eu des problèmes notamment en 1940, où son engagement a été vite en proie à des tracasseries de toutes sortes. Il était fiché au FBI. En fait, il était aussi très mal vu pour ses choix de vie. Ce qui l’a rendu extrêmement impopulaire dans certains milieux dans les années 40, c’est le fait d’avoir une liaison avec une jeune fille de 18 ans alors qu’il en avait 50, et qui était très médiatisée puisque c’était la fille du plus célèbre dramaturge américain de l’époque, Eugene O’Neill… Elle a rompu avec son père, qui l’a déshéritée pour avoir épousé Chaplin.

Il y avait aussi un réaction morale à l’égard de Chaplin. C’est quelqu’un qui mettait mal à l’aise à la fois parce qu’il pointait le doigt vers certaines injustices sociales mais qui aussi affichait une certaine liberté de comportement qui ne plaisait pas toujours.

JOLPress : Comment s’est passé son passage au parlant ?

Christian Viviani : Cela s’est mal passé. Il était très attaché au muet. Charlie Chaplin a attendu jusqu’au dernier moment avant de passer au parlant. Son premier véritable film parlant a été le Dictateur, en 1937. Mais il faut savoir que Les Lumières de la ville et Les Temps modernes qui ont été réalisés dans les années trente, dans un contexte où tous les films étaient déjà parlants, sont quand même des films muets avec un simple bruitage et un accompagnement musicale.

Mais quand il y est passé…

Il y a eu beaucoup de critiques négatives à propos du discours final du Dictateur. On trouvait que c’était trop verbeux, qu’il parlait trop. En fait, il avait quelque chose à dire et il l’a dit. Ces films ont continué à avoir du succès même quand il ne voulait pas passer au parlant. C’était vraiment le seul à pouvoir se le permettre et il n’a eu aucune défaillance du point de vue de la popularité. Il n’a pas du tout été poussé par des contingences de matériel ou des raisons de rentabilité. Il était son propre producteur. S’il a décidé de le faire, c’est qu’il avait vraiment envie d’utiliser le média pour dire quelque chose. Après Le Dictateur, tous ces films ont été parlants.

Propos recueillis par Mairanne Fenon pour JOL Press

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